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Alex Esposito, ébouriffant Mefistofele à Venise

10/05/2024
Alex Esposito (Mefistofele) et Piero Pretti (Faust). © Michele Crosera

Teatro La Fenice, 23 avril

Cinq mois après le Teatro dell’Opera de Rome (voir notre compte rendu), le Teatro La Fenice de Venise présente, à son tour, une nouvelle production de Mefistofele, singulier chef-d’œuvre de Boito. Dès lors inévitable, la comparaison tourne, malgré l’ambition du premier, qui s’était offert, pour son ouverture de saison, les services de Simon Stone, nom assurément à la mode de la scène lyrique contemporaine, à l’avantage du second.

Sur le plan esthétique, le spectacle conçu par Moshe Leiser et Patrice Caurier se révèle, assurément, moins léché, plus éclaté – comme le sont les différents épisodes qui forment l’intrigue –, mais il est aussi, et d’emblée, plus prégnant, dans ses intentions et ses atmosphères, avec une utilisation toujours pertinente des vidéos d’Etienne Guiol.

Masque horrifique de cinéma, Mefistofele apparaît, dans le « Prologue » – tout en arborant un survêtement, comme à Rome –, telle une authentique figure maléfique. Lors même qu’il traîne son ennui, dans une sorte de squat sordide, en regardant à la télévision une cérémonie par le pape, après avoir pris forme plus humaine, en passant sous la douche.

En guise de « Dimanche de Pâques », voici un match de football, avec supporteurs en état d’ébriété, et une partie savamment chorégraphiée, dont les joueurs finissent plus ou moins éclopés. La disposition habile des écrans permet, quant à elle, de matérialiser les empreintes de feu, que le démon laisse au sol.

Faust sera entraîné, par injection, dans des paradis, ou des enfers, artificiels, sans pour autant sombrer, ni dans le poncif, ni dans la facilité, jusqu’à une « Nuit du Sabbat » osant vraiment la partouze, avec un embrasement final du cadre de scène et des loges latérales, dont l’illusionnisme technologique laisse pantois.

La nudité du plateau, et la direction d’acteurs, toujours soignée avec Moshe Leiser et Patrice Caurier, rendent justice à la « Mort de Marguerite », tandis que le « Sabbat classique », tableau piégeux s’il en est, par son improbable retour à l’antique, est traité à la façon d’une « mise en abyme ». On a certes vu, dans maints spectacles – et les titres les plus divers –, ce vrai-faux reflet de la salle et du public, qui, ici, communie dans l’art d’une cantatrice en récital, en lieu et place d’Hélène de Troie.

Ce qui conduit, logiquement, à un « Épilogue », où Faust trouve la rédemption dans la musique, en jouant du violoncelle. Ou l’art comme seule issue possible, dans un monde condamné à des conflits sans fin.

Un sens infaillible de l’occupation de l’espace est pour beaucoup dans l’impression positive, laissée par l’ensemble. Mais il pourrait aussi bien être une coquille vide, sans la formidable « performance » – c’en est une, au sens que ce mot revêt aujourd’hui – d’Alex Exposito, dont le premier Mefistofele est ébouriffant, de bout en bout.

Si les diables lui collent à la peau, le baryton-basse italien a, pour celui-ci plus que pour ceux des Contes d’Hoffmann, où on l’a vu et entendu, à plusieurs reprises, l’avantage de la langue, et de sa plus mordante authenticité, qui, alliées à une voix riche, insolente sur tout l’ambitus – au risque que l’éclat des harmoniques amène l’aigu un rien trop haut –, font tout.

Prise de rôle, aussi, pour Piero Pretti, dont le Faust ne peut prétendre à une telle évidence. L’assurance, le squillo, sans une ombre de fatigue, ni de tension, ne sauraient suffire, quand la ligne réclame une infinie morbidezza, et une couleur moins trompettante.

À Rome, où elle cumulait Margherita et Elena – qu’elle laisse ici à Maria Teresa Leva, soprano plantureux, mais non sans stridence, et au vibrato débordant –, Maria Agresta parvenait encore à émettre quelques piani. Ils ne sont plus, à Venise, que de l’ordre du souvenir. Et des regrets que cet instrument soit désormais aussi induré, et instable, malgré la sincérité d’accents véristes, mais touchants.

Dans la fosse, en grand connaisseur de la partition et de ses différentes révisions, Nicola Luisotti prend fait et cause pour la version jouée au Teatro Rossini de Venise, le 13 mai 1876, basée sur l’édition critique établie par Antonio Moccia, d’après la mouture présentée à Bologne, l’année précédente. Soit un Mefistofele vierge des modifications d’orchestration introduites par Arturo Toscanini, en 1919, un an après la mort de Boito.

Si les forces de la maison ne peuvent tout à fait rivaliser avec l’orchestre et le chœur romains, portés à ébullition, en novembre dernier, par un Michele Mariotti plus soucieux des innovations du compositeur, Nicola Luisotti en obtient le meilleur, en vrai « maestro concertatore » à l’ancienne.

MEHDI MAHDAVI

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