En 2009, Nathalie Stutzmann, déjà à la tête d’une belle carrière de chanteuse, fondait son ensemble instrumental Orfeo 55. Dix ans plus tard, faute de moyens et de subventions, l’aventure s’arrêtait. Ce disque, enregistré en studio, en janvier-février 2019, en est le dernier témoin.
Contralto : le titre est explicite, qui fait référence à la voix de l’artiste française, celle, effectivement, d’une contralto, au grave particulièrement développé. En même temps, il rend hommage à ses devancières qui, au XVIIIe siècle, ont magnifié ce registre vocal, cher à des compositeurs comme Haendel et Vivaldi, qui se taillent ici la part du lion, mais aussi Porpora, Lotti, Caldara… Les Anna Giro (créatrice d’une trentaine de rôles vivaldiens), Maria Maddalena Pieri (Farnace de Vivaldi et Tamerlano de Haendel), Anna Maria Fabbri, Francesca Vanini-Boschi, Anna Vincenza Dotti, Francesca Bertolli, Anna Marchesini…
Galerie de cantatrices, de personnages aussi, qu’ils soient féminins ou masculins – la notion de genre s’en trouvait quelque peu bousculée, et il arrivait même qu’une héroïne soit obligée, selon les rebondissements de l’intrigue, de se travestir en homme ! –, et une succession d’airs, dont des premières mondiales. Ainsi « Caro Addio, dal labbro amato » de la Griselda de Bononcini, à la mélodie d’une attachante simplicité ; « Sotto un faggio » de l’Euristeo de Caldara, richement accompagné, entre autres, par un basson ; « Mira d’entrambi il ciglio » de la Statira de Porpora, air de fureur vengeresse, dont la partie lente souligne la cruauté ; et le douloureux « Empia mano » de Gasparini, extrait de La fede tradita e vendicata.
Le moins qu’on puisse dire est que Nathalie Stutzmann est une interprète généreuse. La voix, aux résonances étranges et souvent ambiguës, semble avoir atteint sa pleine maturité ; si, en scène, sa projection paraissait parfois limitée, elle n’a jamais sonné aussi glorieusement. Pour celle qui a fait du XVIIIe siècle l’un de ses terrains d’élection, la virtuosité n’est jamais gratuite mais prétexte à expression, aidée par un timbre naturellement émouvant.
Musicienne raffinée, qui ne recherche pas l’effet, elle habite chaque mesure avec une sincérité désarmante, allant au-delà des conventions musicales pour faire vivre et vibrer ses incarnations, n’oubliant jamais que le théâtre jaillit de la musique. Haendel, Vivaldi y gagnent en intensité et en humanité.
La cheffe n’est pas en reste, si l’on en croit quelques pages orchestrales, dont la Sinfonia de L’incoronazione di Dario, enlevée avec un dynamisme et un lyrisme irrésistibles.
Une réussite pour un au revoir qui, espérons-le, ne sera pas un adieu.
MICHEL PAROUTY