Lieder Lieder und Gesänge op. 32 ; Lieder nach Gedichten von Heinrich Heine ; Vier ernste Gesänge op. 121 Christoph Eschenbach (piano)
1 CD Harmonia Mundi HMC 902174
La photographie sur la pochette du disque Harmonia Mundi, gravé en studio, en avril 2013 et décembre 2015, est vraiment peu avenante, voire lugubre. Mais, au moins, elle a le mérite de bien annoncer ce que l’on va trouver dans cet assemblage de mélancoliques inspirations brahmsiennes.
À commencer par les crépusculaires Lieder und Gesänge op. 32, où voix et piano semblent irrésistiblement attirés vers leurs résonances les plus graves, comme par un gouffre de résignation sombre. On sait à quel point Matthias Goerne peut exceller dans ces ambiances-là, en jouant sur la palette infinie des changements de couleur et de grain d’un timbre toujours légèrement voilé, et que Christoph Eschenbach reste l’accompagnateur idéal pour de tels moments d’introspection.
Le miracle est qu’ici, toutes ces recherches ne nuisent jamais à l’avancée du discours, qui garde son tranquille naturel. D’ambiances tamisées en résonances sourdes, la progression de cet opus 32 se construit ainsi jusqu’aux tonalités plus détendues des trois dernières pièces du recueil, où la voix se pare d’inflexions de plus en plus suaves, alors même que le piano s’illumine d’un lyrisme éperdu.
Le miracle se répète encore, par deux fois, dans les premiers lieder de l’opus 85 : l’ineffable balancement de Sommerabend, suivi de miraculeux entrelacs dolcissimo de la main droite et du chant dans Mondenschein… Quels fabuleux moments !
En fin de programme seulement, et comme une issue possible après tant de souffrances contenues, les Vier ernste Gesänge, sereines plages de religiosité où Brahms médite sur sa vie, désormais pour l’essentiel passée, et sur trop d’amis récemment disparus. Là encore, une version de référence (quelles sublimes gradations dans O Tod, wie bitter bist du !), de par l’osmose parfaite atteinte par deux tempéraments artistiques hors du commun.
Après une heure de récital, les derniers accords du piano retournent doucement au silence, l’inépuisable livre d’émotions se referme, et on reste sidéré !
LAURENT BARTHEL