Même si le plus récent, Spirito, s’avérait incomparablement plus réussi que les précédents (voir O. M. n° 145 p. 80 de décembre 2018), aucun des récitals discographiques de Marina Rebeka n’avait atteint la perfection. Son nouvel album, gravé en studio, en mai 2019, et baptisé Elle, comble enfin tous nos espoirs.
Ce n’est pas un hasard si l’accomplissement s’opère dans un programme entièrement français. Même si elle chante beaucoup moins Massenet, Gounod et Bizet que Bellini, Donizetti et Verdi, la soprano lettone avait notamment incarné une électrisante Thaïs, à Salzbourg, en 2016, et une explosive Marguerite de Faust, à Monte-Carlo, deux ans plus tard.
On retrouve ces deux héroïnes dans Elle : une Thaïs (« Dis-moi que je suis belle », « Ô messager de Dieu ») idéalement séductrice, au contre-ré sidérant ; et une Marguerite (« Ah ! je ris… », « Il ne revient pas ! ») jeune et lumineuse, d’abord prête à tout pour échapper à la monotonie de son quotidien, puis déchirée entre le remords, l’accablement et l’espoir.
La voix, jolie, capiteuse, homogène, a gagné en épaisseur dans le grave, rendant parfaitement plausibles Chimène du Cid (« Pleurez, pleurez mes yeux ! »), tout comme Salomé d’Hérodiade (« Il est doux, il est bon », captivant mélange de lascivité et de candeur).
L’un des points sur lesquels Marina Rebeka a le plus progressé est, très certainement, la diction. Constamment compréhensible, son français est, de surcroît, accentué et modulé avec beaucoup de sensibilité, sans pour autant basculer dans l’afféterie. Carmen (« L’amour est un oiseau rebelle ») et Manon (« Adieu, notre petite table ») en bénéficient plus particulièrement, avec un chant naturellement conduit par la couleur et les correspondances entre les mots.
Leïla des Pêcheurs de perles est une surprise : l’instrument, qui semblait a priori un peu lourd, pare « Comme autrefois » d’une inhabituelle aura de sensualité, avec une cadence finale impeccable, couronnée de l’indispensable trille. Quant à Juliette, si « Je veux vivre » révèle des vocalises manquant désormais de légèreté (comme celles de « Sempre libera » dans l’intégrale de La traviata, également publiée chez Prima Classic), « Amour, ranime mon courage » soulève l’auditeur de son siège par sa fougue et son rayonnement, au point de faire oublier quelques tensions dans l’extrême aigu.
Le sommet, peut-être, demeure l’air de Louise, qui ouvre l’album. Une prise de son merveilleusement soyeuse et nette (bravo à Edgardo Vertanessian !) flatte une voix au charme irrésistible, ainsi qu’une interprétation très « fin de siècle », mais sans rien d’alangui, ni d’évanescent. Et puis, quel si aigu piano sur « Ah ! je suis heureuse », l’un des plus miraculeux de la discographie !
Également bien mis en valeur par l’enregistrement, l’Orchestre Symphonique de Saint-Gall se montre à la fois nuancé et compact, sous la baguette de Michael Balke, constamment à l’écoute des moindres variations d’atmosphère de ces pages, comme des éclairages subtilement diversifiés que Marina Rebeka jette sur elles.
RICHARD MARTET