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Lise Davidsen : Beethoven, Wagner & Verdi

29/03/2021

A-t-on entendu, chez les sopranos « wagnériennes », voix aussi immense et opulente depuis Kirsten Flagstad, à laquelle on songe dès le sidérant « Abscheulicher  ! » figurant en ouverture de cet album, gravé en studio, en août et octobre 2020 ? Sans rien devoir aux micros, comme le savent tous ceux qui ont entendu Lise Davidsen dans une salle, l’instrument se projette avec une plénitude et une puissance inouïes. Et les si aigus, qui arrachent des cris à la plupart des Leonore, sortent avec une facilité ahurissante.

Est-ce parce qu’elle est norvégienne que, comme dans son premier récital (voir O. M. n° 151 p. 77 de juin 2019), on pense aussitôt à son illustre aînée ? Plutôt parce que la richesse du timbre et la largeur de l’émission rappellent certains Fidelio de légende, au Metropolitan Opera de New York et au Festival de Salzbourg, entre 1938 et 1951.

La jeune soprano (34 ans, depuis le 8 février) enchaîne avec le redoutable « Ah ! perfido » du même Beethoven, prodigieux de conduite de la ligne. Le chant est tellement beau et émouvant qu’on finit par oublier une diction moins nette qu’en allemand. Est-ce l’effet d’une prise de son rappelant celles de Decca dans les années 1960, qui enveloppait les voix dans une espèce de halo ? Toujours est-il que ce handicap affecte, à des degrés divers, tous les airs italiens qui suivent.

« Dei tuoi figli la madre » de Medea, « Voi lo sapete » de Cavalleria rusticana, « Pace, pace, mio Dio ! » de La forza del destino, « Ave Maria » d’Otello, voilà des pages que Kirsten Flagstad aurait sans doute aimé enregistrer, sans en avoir l’occasion, hélas. Cette fois, pour le programme, on songe à trois autres éminentes « wagnériennes », tentées, à la scène comme au disque, par Verdi, Puccini et les véristes : Birgit Nilsson, Leonie Rysanek et Gwyneth Jones.

Lise Davidsen a-t-elle raison de s’aventurer sur ce terrain ? L’avenir le dira, si elle réédite l’expérience au théâtre (à ce jour, elle n’a tenté que Santuzza et Medea, loin du circuit international). En l’état, dans les conditions privilégiées du studio, la voix, naturellement taillée pour les grands Wagner et Strauss, réussit à se plier à la noblesse de la « tragédie lyrique » de Cherubini, comme au chant extraverti de Mascagni et aux spécificités du Verdi de la maturité, déjà tourné vers un style d’expression plus tardif, mais encore tributaire de l’héritage belcantiste.

Le manque de mordant de la diction confère à Medea un côté exotique, qui sied à cette « étrangère », un peu comme Joan Sutherland, jadis, en Turandot. Bien peu italienne de couleurs et d’accents, Santuzza, forte de sa jeunesse de timbre et de ses piani soignés, intéresse, à défaut d’émouvoir vraiment. Si l’on peut considérer que l’exercice atteint ses limites avec Leonora, Desdemona bouleverse, sans chichis, à la manière de Leonie Rysanek, chez RCA.

Les Wesendonck-Lieder, sublimement chantés et interprétés, avec un souci du mot plus affirmé que dans les Vier letzte Lieder de Strauss du premier album, concluent dans l’éblouissement amoureux ce récital, très bien dirigé par Mark Elder, à la tête d’un orchestre somptueux.

Quant s’éteignent les dernières notes de Träume, l’ultime lied du cycle wagnérien, l’auditeur est convaincu d’une chose : comme pour Flagstad, Isolde sera l’accomplissement suprême de cette voix extraordinaire, au sens littéral du terme.

RICHARD MARTET

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