On avait été enchanté par cette nouvelle production de Richard Cœur de Lion (Paris, 1784), créée à l’Opéra Royal de Versailles, en octobre 2019 (voir O. M. n° 156 p. 58 de décembre). Le DVD la perpétue avec le plus grand bonheur, dans l’excellent filmage de Julien Condemine, et un montage à la fois fluide et sans ostentation, qui tient constamment sous le charme (on passera sur une définition de l’image un peu insuffisante pour les lointains, mais qui préserve néanmoins la grande beauté des couleurs pastel).
On sera vite pris par la magistrale cohésion de l’ensemble, dont le goût très sûr parvient à rendre compte au mieux de la sensibilité particulière de ce moment de perfection de l’art français, avec son imagerie faussement naïve. Décors et costumes (superbe travail d’Antoine Fontaine et de Camille Assaf), chant, parlé, danse s’enchaînent comme tout naturellement.
Après sa magnifique résurrection de -l’Andromaque de 1780 du même Grétry (Glossa), on s’enthousiasme à nouveau pour la direction idéalement idiomatique d’Hervé Niquet, avec un Concert Spirituel toujours à son meilleur, et son chœur aussi parfait vocalement que scéniquement. Et on ne le fera pas moins pour la direction d’acteurs vigoureuse de Marshall Pynkoski.
Meneur de jeu, dans le personnage central de Blondel, agile et d’une grande séduction, Rémy Mathieu étonne d’emblée par son aptitude à enchaîner un discours musical parfaitement adapté à la légèreté de la voix et à la clarté du timbre, et l’excellente interprétation du long texte parlé. Marie Perbost, assez peu crédible visuellement dans le travesti d’Antonio, dont elle rend pourtant à merveille la juvénilité, n’est pas moins enjôleuse, avec son timbre rond et charnu, que dans la noblesse d’une Comtesse Marguerite un peu mûrissante, mais d’un charme irrésistible, dans sa somptueuse robe à la Watteau.
Reinoud Van Mechelen triomphe brillamment du très difficile « Si l’univers entier m’oublie » du rôle-titre. Jean-Gabriel Saint-Martin campe un Florestan à la fois amoureux ardent et gardien de la prison de Richard d’une belle autorité, tandis que Geoffroy Buffière joue au mieux la touche d’exotisme de Williams, le Gallois.
À côté de solides comprimari, tout au plus pourra-t-on relever les aigus parfois un peu pointus de Melody Louledjian, Laurette par ailleurs ravissante, et, pour la jolie chorégraphie de Jeannette Lajeunesse Zingg, un petit manque d’homogénéité dans la troupe du Ballet de l’Opéra Royal.
Le DVD s’impose. Le CD joint (où Enguerrand de Hys remplace, assez curieusement, mais parfaitement, Rémy Mathieu en Blondel) aidera à revenir sans se lasser à « Ô Richard ! Ô mon Roi ! » et à « Je crains de lui parler la nuit », dont Tchaïkovski a su capter le moment unique d’émotion pour sa Dame de pique, lors même que Grétry était largement négligé.
Une date majeure dans la redécouverte du compositeur. On peut désormais oublier les CD dirigés par Edgard Doneux (EMI/Warner Classics, 1978) et Fabio Neri (Nuova Era, 1994).
FRANÇOIS LEHEL