Ce DVD a été filmé les 10 et 12 juin 2018, tandis que la première de cette nouvelle production de La Nonne sanglante, dont j’avais rendu compte dans ces colonnes, avait eu lieu le 2 juin (voir O. M. n° 141 p. 60 de juillet-août). Cela a permis de remédier aux quelques réserves que j’avais faites concernant les musiciens d’Insula Orchestra, dorénavant parfaitement rodés. Laurence Equilbey a aussi tempéré sa fougue, sa direction est plus posée et laisse plus de latitude aux nuances des chanteurs.

D’une manière générale, la prise de son tend à mieux équilibrer la fosse et la scène, que le son direct de l’Opéra-Comique, avec son acoustique un peu sèche. Enfin, André Heyboer, qui avait assuré vaillamment le rôle du Comte de Luddorf, bien que souffrant, a été remplacé par Jérôme Boutillier, lequel assume superbement son personnage violent et rend ainsi pleine justice à son air du dernier acte, le plus intéressant de la partition.

D’autre part, le point de vue de la caméra modifie évidemment la perception du spectacle de David Bobée et son équipe, pour le meilleur et parfois le moins bon. Le parti pris de noir et blanc du décor et des costumes est moins lassant, dans la mesure où l’on a paradoxalement la sensation de regarder un film en noir et blanc, ce qui donne à l’ensemble un air ancien qui compense l’absence de luxe du « grand opéra » parisien, que j’avais trouvé pauvrement restitué. En revanche, les plans de proximité accusent parfois une direction d’acteurs assez conventionnelle et fragmentent trop la première scène de bataille, qui perd ainsi de sa belle vision globale, avec son jeu de lignes des lances.

J’avais déjà dit tout le bien qu’on pouvait penser d’une distribution vocale remarquable dans tous les rôles, dominée par l’exceptionnelle vaillance de Michael Spyres en Rodolphe. Là encore, l’expérience des représentations suivant la première a fait son œuvre, ainsi que la prise de son. L’écriture vocale malaisée de la Nonne (Marion Lebègue) sonne mieux et les éclats vocaux du page Arthur (Jodie Devos) sont mieux maîtrisés.

Reste que ce deuxième opéra de Gounod demeure, tout de même, en deçà de ce qu’il fera ensuite, à la fois par une dramaturgie respectueuse des conventions d’époque, une volonté de fantastique qui n’est pas vraiment dans la nature du compositeur, de fréquents moments de religiosité un peu sulpicienne et un don incontestable de la suavité mélodique et des phrases régulières, qui lisse un peu bourgeoisement la vigueur du drame. Sans compter les paroles empesées de Scribe…

Le plus intéressant demeure le langage harmonique, d’un chromatisme plutôt audacieux, notamment dans l’étonnant prélude orchestral. Mais l’effet de cette originalité s’estompe un peu ensuite, par la persistance des septièmes diminuées et des modulations qu’elles permettent.

Néanmoins, cette représentation filmée, perfectionnant les quelques faiblesses de ses débuts, restera un précieux document sur le jeune Gounod, que les efforts conjugués du Palazzetto Bru Zane et de l’Opéra-Comique nous auront fait découvrir.

RÉMY STRICKER

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