Nous avions exprimé notre enthousiasme à l’écoute de la résurrection d’Hypermnestre de Charles-Hubert Gervais (1671-1744), donnée en concert au Müpa de Budapest, le 18 septembre 2018 (voir O. M. n° 144 p. 65 de novembre), dans le cadre de la fructueuse collaboration entre le Centre de Musique Baroque de Versailles, l’Orfeo Music Foundation et le chef György Vashegyi. L’enregistrement, réalisé en studio, entre le 17 et le 20 du même mois, confirme qu’il s’agit bien d’un ouvrage de tout premier plan.
Sur un excellent livret de Joseph de La Font, la musique s’inscrit dans la grande tradition lullyste – pour l’usage du récitatif accompagné, comme pour la division en cinq voix de l’orchestre et du chœur –, mais avec un goût des harmonies complexes et une touche italianisante dans les ariettes virtuoses dévolues aux personnages secondaires, qui annoncent nettement Rameau.
Le CMBV a non seulement retrouvé ce titre, mais en a aussi permis l’exécution malgré des manuscrits lacunaires, grâce au travail conjugué de deux de ses musicologues : Julien Dubruque, pour la collecte et la confrontation des sources, et Thomas Leconte, pour la réécriture des parties manquantes. En effet, l’édition conservée ne se présentant par endroits que sous une forme réduite, il a fallu la compléter.
Excellente idée, en outre, que de proposer au disque deux versions entièrement différentes du dernier acte : celle de la création, en 1716, et celle de 1717 (sur un texte de l’abbé Pellegrin) qui, de façon très saisissante et inhabituelle, s’achève par le récitatif de Danaüs mourant, maudissant sa fille. Thomas Dolié s’y montre exceptionnel, plus encore que dans son monologue du III, en un mélange de splendeur vocale, d’autorité et de subtilité littéraire.
En Lyncée, Mathias Vidal offre une voix pleine de santé, dont il parvient néanmoins à atténuer l’éclat face à sa partenaire : Katherine Watson, Hypermnestre délicate et stylée, mais un rien trop retenue. Les seconds rôles, très importants, auraient sans doute gagné à être servis par un plus grand nombre de chanteurs. On remarque, malgré tout, le savoir-faire et la belle musicalité de Chantal Santon Jeffery, confrontée aux tessitures les plus diverses, et le joli baryton de Philippe-Nicolas Martin, Arcas élégant, mais au timbre insuffisamment différencié de celui de Danaüs pour l’Ombre de Gélanor. Une vraie basse eût été préférable.
L’instrument riche et puissant de Juliette Mars, impressionnant au concert, convainc moins ici : l’autorité d’Isis peut être suggérée par des moyens plus strictement musicaux que cette émission brutale. Enfin, le disque surexpose les limites de Manuel Nuñez Camelino, aux prises avec des parties de haute-contre aiguë, dont certaines l’obligent à marquer ou à pousser.
György Vashegyi confirme la précision et la vigueur de sa direction, à la tête de ses deux formations, l’excellent Orfeo Orchestra et le solide Purcell Choir.
Malgré nos quelques réserves, une première discographique marquante qui, espérons-le, donnera l’idée à des directeurs de théâtre de monter Hypermnestre. Cette superbe « tragédie lyrique » mérite et appelle la scène !
THIERRY GUYENNE