Oreste, Serse, Rinaldo, Imeneo, Il pastor fido, Rodelinda, Giulio Cesare, Ariodante, Partenope
Il Pomo d’Oro, dir. Zefira Valova
1 CD Deutsche Grammophon 479 7541
L’astre lyrique Franco Fagioli brille d’un éclat singulier dans la vaste constellation des contre-ténors de notre époque. Si les tout premiers disques, gravés dans une certaine précipitation pour BMG et Carus, laissaient présager une bonne carrière, on n’imaginait pas que le falsettiste argentin puisse parvenir à un tel degré d’accomplissement.
Galbée, sensuelle, vibrante et d’une insolente facilité dans le haut du registre, la voix cristallise des qualités que l’on ne rencontre chez ses confrères que de manière isolée. Bien sûr, on peut trouver que son chant n’est pas des plus séraphiques – le contraste avec Philippe Jaroussky, par exemple, est particulièrement saisissant.
On peut également estimer que son timbre, proche de celui d’une mezzo-soprano – et même, on l’a assez dit, de celui de Cecilia Bartoli – semble parfois « enflé » arbitrairement. Mais qui, aujourd’hui comme hier, offre pareil alliage entre sensibilité à fleur de peau et technique impérieuse, en prenant autant de risques et en donnant à ce point l’impression de repousser les limites naturelles de son instrument ?
Dès la première plage de ce nouvel album, entièrement consacré à Haendel et gravé en studio, en mars 2017, on est conquis par la prestance et la vélocité de l’artiste. Dans le redoutable « Agitato da fiere tempeste », extrait d’Oreste, le chant, toujours nourri, ne se heurte jamais à la vocalise ; au contraire, il la transcende.
Arrive ensuite le célébrissime « Ombra mai fu » de Serse, entonné avec la plus grande délicatesse. Posée sur le souffle, cette déclaration d’amour (adressée à un platane !) s’étire avec une grâce désarmante. De Serse toujours, « Crude furie » est un véritable feu d’artifice. Les vocalises fusent de toutes parts : imparable démonstration pyrotechnique !
Le sublime « Cara sposa » de Rinaldo fixe, pour sa part, une profonde mélancolie. La voix se déroule avec langueur, laissant ainsi les accents douloureux infiltrer la mélodie. Tiré du même, « Venti, turbini » renoue avec l’extraversion, Franco Fagioli s’aventurant dans le suraigu avec un aplomb sidérant.
« Se potessero i sospir miei » (Imeneo) et « Sento brillar nel sen » (Il pastor fido) captent l’attention par leur douceur mesurée. « Dove sei, amato bene ? » (Rodelinda) fascine ensuite par sa parfaite mise en place et sa suavité. « Se in fiorito » (Giulio Cesare) est un pur moment de poésie, pendant lequel les colorations entre violon et voix se renouvellent sans cesse.
Les deux fameuses pages tirées d’Ariodante (« Scherza, infida » et « Dopo notte ») atteignent la perfection, en termes de profondeur pour la première et d’allant pour la seconde. En guise d’adieu, le rare et touchant « Ch’io parta ? » (Partenope) laisse l’auditeur en proie à une indicible émotion.
Accompagnateur de choix, l’ensemble Il Pomo d’Oro, placé sous la direction de la violoniste Zefira Valova, fait preuve d’une souplesse tout aussi remarquable. Les options rythmiques s’avèrent toujours justes et montrent, au passage, qu’il n’est pas obligatoire d’accélérer pour donner de la dynamique à la musique.
Avec ce récital de tout premier ordre, Franco Fagioli montre qu’il est vraiment au firmament.
CYRIL MAZIN