CD / DVD / Livres Francesca Aspromonte : Prologue
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Francesca Aspromonte : Prologue

22/11/2018

Francesca Aspromonte et le violoniste et chef d’orchestre Enrico Onofri, qui ont imaginé le programme de cet enregistrement, ont fait aux mélomanes un bien beau cadeau, original et instructif, puisqu’il met en lumière les Prologues, passages obligés des opéras depuis la naissance du genre jusqu’à la fin de l’époque baroque.

Les ouvrages lyriques, alors, ne s’ouvraient pas sur un premier acte mais sur ce « début avant le commencement », comme le définit la soprano italienne dans un texte de présentation enthousiaste. Passages obligés, passages oubliés ou écoutés d’une oreille par des spectateurs pressés d’en venir aux faits – au point que certaines mises en scène « modernes » les suppriment purement et simplement –, ils avaient pourtant leur rôle à jouer.

Confiés à des personnages mythologiques (Iride, messagère des dieux, dans La Didone et L’Eritrea de Cavalli, Amore dans L’Argia de Cesti…), ou prenant la forme de figures allégoriques (la Tragedia dans L’Euridice de Caccini, l’Armonia dans L’Ormindo de Cavalli, la sublime Musica de L’Orfeo monteverdien), ils pouvaient chanter les louanges d’un mécène ou d’un souverain (L’Argia décrit Christine de Suède, qui « brille sur terre, aussi sage que belle »), d’un art (la Pittura dans Il palazzo incantato de Rossi), d’une ville (Roma dans Il Sant’Alessio de Landi) ; ils pouvaient également installer un décor, ou introduire l’action à venir et l’expliquer.

Cantatrice et chef se lancent donc dans une tentative inédite : considérer le Prologue quasiment comme un genre à part entière, quitte à inventer une dramaturgie très ténue – une sinfonia pour deux violons et basse continue de Stradella, emmenant l’auditeur dans des contrées plus agitées. Outre que l’on retrouve, au fil des airs, les noms de poètes fameux (Striggio, Rinuccini, Busenello…), on mesure à quel point l’opéra a évolué entre 1602 (L’Euridice de Caccini) et 1690 (La Rosaura d’Alessandro Scarlatti), gagnant en variété, en séduction mélodique, avec toujours le même souci de justesse expressive des sentiments.

Encore en début de carrière (elle est née en 1991), Francesca Aspromonte avait attiré l’attention dans L’Orfeo de Rossi, dirigé par Raphaël Pichon à Nancy, en février 2016 ; la présence scénique, le cristal de la voix, l’intelligence des mots, la sensibilité, l’émotion, rien ne manquait à cette Euridice proche de l’idéal (voir O. M. n° 115 p. 60 de mars). Des qualités que l’on retrouve dans ce récital de studio, gravé en décembre 2016, et qui vont bien au-delà de la finesse musicale.

Car c’est une véritable interprète que l’on découvre ici, attentive à habiter les mots, à donner à chaque ornement la couleur, la nuance et l’expression voulues ; certains mots sont murmurés à fleur de lèvres, des vocalises s’envolent avec fierté et légèreté, rien n’est laissé au hasard et, pourtant, tout semble aller de soi.

Sous la baguette dynamique d’Enrico Onofri, l’ensemble Il Pomo d’Oro se montre resplendissant dans l’exubérance comme dans la tendresse, atteignant ce mélange de rigueur et de liberté qui rend la musique évidente. Celle qui a coutume d’« enchanter l’oreille des mortels » ne pouvait rêver serviteurs plus dévoués.

MICHEL PAROUTY

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