Enregistré en studio, en février 2019 – soit un an avant L’Orfeo, dirigé et incarné par Emiliano Gonzalez Toro, salué par un Diamant d’Opéra Magazine, en novembre 2020 (voir O. M. n° 166 p. 63) –, Soleil noir, portrait musical de Francesco Rasi (1574-1621), créateur du rôle-titre de la « favola in musica » de Monteverdi, paraît finalement six mois plus tard.
Projets, en réalité, complémentaires, et même indissociables, le récital apparaissant, à maints égards, comme une étape, peu ou prou solitaire, vers la grande aventure collective. Avant de se confronter à la figure tutélaire du poète thrace, le ténor devenu chef se devait, en effet, d’explorer la vocalité de son premier interprète.
Personnage trouble, voire peu recommandable – avec plusieurs complices, il tenta d’étrangler sa belle-mère et poignarda l’intendant de cette dernière pour quelques écus, des bijoux en or et des couverts en argent ! –, Francesco Rasi fut, d’abord et avant tout, un musicien complet.
Chanteur adulé et aux capacités peu communes – dont témoigne, pour l’éternité, le canto passaggiato de « Possente spirto » dans L’Orfeo –, il s’accompagnait lui-même au chitarrone et composait, léguant à la postérité un nombre tout sauf négligeable de pièces, qu’il prit le soin de faire publier.
Tout juste dix ans après l’anthologie que lui avait consacré, déjà chez Naïve, Furio Zanasi, sous le titre La voce di Orfeo (Diamant d’Opéra Magazine), Emiliano Gonzalez Toro, ténor suisse d’origine chilienne, puise dans un répertoire suffisamment riche pour que les deux disques n’aient qu’une seule pièce en commun.
Fascinant programme, en vérité, qui montre l’étendue, tant d’une voix – notre époque, éprise de terminologie, la qualifie de « baryténor » – que d’un art porté à des sommets de raffinements poétiques et expressifs par ses inventeurs (Monteverdi, Peri, Caccini…), en d’extraordinaires jeux d’échos et de réminiscences, entre emprunts et références.
Canzonette et grandes scènes dramatiques, où le recitar cantando naissant atteint d’emblée son apogée, mettent ainsi en musique l’étonnante variété du tourment amoureux, dans une tonalité essentiellement élégiaque.
Entouré d’un continuo réduit à son essence – une viole, une harpe, un théorbe –, Emiliano Gonzalez Toro sculpte, dans le mat éclat d’un timbre au clair-obscur singulier, les contours de mots aux reliefs infinis, de la tendre supplication à la véhémence éperdue. Comme en quête, jusqu’à une facétieuse pirouette finale, de douce lumière, dans les méandres souvent ténébreux de ces cœurs épris.
MEHDI MAHDAVI