CD / DVD / Livres Christian Gerhaher : Schumann, Frage
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Christian Gerhaher : Schumann, Frage

24/12/2018

Dix ans après leur magnifique album Melancholie, paru en 2008 chez RCA et entièrement consacré à Schumann, Christian Gerhaher et Gerold Huber entament une intégrale des lieder du compositeur, dont le deuxième volet (Myrthen) devrait paraître à l’automne 2019.

Enregistré en studio, en janvier-février 2017, ce premier volume regroupe, autour de l’opus 35 (cycle sur des poèmes de Kerner nettement moins fréquenté que les opus 39 ou 48, et dont le neuvième lied donne son titre à l’album), les recueils op. 107 et 83, que le baryton allemand voit comme des quasi-cycles, ainsi que les Romanzen und Balladen op. 49 et l’opus 142, qui contient notamment deux des quatre numéros retirés de Dichterliebe.

Ce disque aurait pu s’intituler Melancholie II tant, dès le Herzeleid initial, y sont prégnantes ces humeurs d’introspection dépressive et douloureuse typiques de Schumann. Christian Gerhaher, grand maître de la nuance et des demi-teintes, y excelle particulièrement : sa recherche toujours plus poussée d’une économie de moyens – doublée d’un détachement croissant, quasi janséniste, envers le pur beau son – sied à ces expressions de renoncement, de désolation, de solitude.

Son art subtil, de plus en plus épuré, ne se conçoit que dans une complémentarité avec celui de son partenaire : tandis que l’un cherche sans cesse à rapprocher le chant du dire (et avec quelle beauté et quelle qualité d’évocation dans la langue allemande !), l’autre déploie, au clavier, un lyrisme enveloppant. Chantant encore davantage que dans Schubert, sans jamais négliger l’assise rythmique ou harmonique, Gerold Huber nous étreint par son toucher magnifiquement expressif.

Cette combinaison, unique dans l’univers du lied, atteint à une qualité d’émotion exceptionnelle, faisant d’un grand nombre de pièces les facettes finement variées d’une même veine affective. Citons entre autres, outre Herzeleid déjà évoqué, Abendlied (op. 107), les trois lieder de l’opus 83 (mention spéciale pour Der Einsiedler), Erstes Grün et Stille Liebe dans l’opus 35… Et que dire de la progression vers le silence génialement ménagée entre les deux dernières pièces de ce même opus 35, Wer machte dich so krank ? et Alte Laute ?

Ce dépouillement extrême offre un fort contraste avec l’énergie, voire l’emportement désespéré, de lieder comme Lust der Sturmnacht – que Christian Gerhaher traduit, d’ailleurs, plus par le mordant que par le volume – ou avec l’éloquence plus dramatique de l’opus 49. Et l’ensemble est si captivant que l’on oublie très vite tel grave un peu faible, tel aigu ouvert un rien agressif.

Cette première pierre d’un vaste chantier promet une intégrale qui, tant par l’intelligence de sa conception que par son niveau d’interprétation, devrait faire date, comme celle de Dietrich Fischer-Dieskau et Christoph Eschenbach, à la fin des années 1970, chez Deutsche Grammophon.

THIERRY GUYENNE

1 CD Sony Classical 19075889192

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