Jakub Jozef Orlinski : Vivaldi : Stabat Mater
1 CD + 1 DVD Erato 0190295060701
Attention, concept ! Il ne s’agit pas d’un enregistrement s’ajoutant à tant d’autres, mais d’un projet porté avec conviction et enthousiasme par Jakub Jozef Orlinski. On pourrait définir le cœur de cette démarche, comme une déclaration d’amour à une œuvre que le contre-ténor polonais fréquente depuis ses années estudiantines.
Sur la forme, nous avons, d’une part, un CD, comportant uniquement le Stabat Mater de Vivaldi (durant donc dix-huit minutes) ; de l’autre, un DVD, avec un court-métrage écrit et dirigé par le réalisateur Sebastian Panczyk, également polonais. Le chanteur en est l’acteur principal, et le même Stabat Mater en constitue la bande-son (la durée passe alors à vingt et une minutes, la narration cinématographique imposant quelques silences supplémentaires).
Composé en 1711, avant que Vivaldi ne soit en poste à l’orphelinat vénitien de la Pietà, le Stabat Mater est écrit pour un homme (castrat ou, déjà, falsettiste). Depuis plusieurs décennies, de nombreux contre-ténors s’y sont illustrés. Citons-en deux : Gérard Lesne, offrant une interprétation incarnée, combinée à l’inégalable velouté de la voix (1987, Harmonic Classics) ; et David Daniels, dont le lyrisme et la sensibilité, alliés à l’approche intimiste du chef Fabio Biondi, touchent au sublime (2001, Virgin Classics/Erato).
Sans contre-ténor, impossible de passer sous silence la version dirigée par Rinaldo Alessandrini, d’une profondeur prodigieuse, la seule à vraiment assumer la lenteur des tempi, bénéficiant, de surcroît, du timbre somptueux de la contralto Sara Mingardo (1999, Naïve).
Dans ce nouvel enregistrement, réalisé en studio, en juillet 2020, l’affinité entre Jakub Jozef Orlinski et l’ouvrage est éclatante. De cette pièce singulière, faite de huit mouvements lents et d’un Amen enlevé, les interprètes nous offrent une vision à la fois intimiste et théâtrale, dans laquelle l’excellent ensemble polonais Capella Cracoviensis, sous la baguette de Jan Tomasz Adamus, son directeur musical et artistique, joue son rôle. Quant au contre-ténor, il déploie son art avec une extrême finesse, y compris dans l’ornementation, sachant être fragile et percutant en même temps. Il y aurait presque de quoi nous convertir au dolorisme !
Du court-métrage – « vidéo-clip » serait trop réducteur –, on peut faire de nombreuses interprétations, spirituelles, politiques et écologiques. Délibérément, nous choisissons de ne rien dévoiler de l’histoire qu’il raconte, mais attention : la violence prend le spectateur par surprise, dès les premières minutes, et elle peut choquer ! S’il est légitime de s’interroger sur la cible visée, a priori différente de celle du CD, ce film constitue indéniablement une interprétation forte du Stabat Mater, et de la vision que Jakub Jozef Orlinski nous en propose. Après l’avoir vu, on n’écoute plus, voire on n’entend plus, l’enregistrement audio de la même manière.
Au bilan, un très beau Stabat Mater de Vivaldi, et un projet aussi étrange que cohérent, porté par un jeune chanteur ancré dans son époque. Pas forcément commercial, peut-être dérangeant, mais c’est tant mieux !
PHILIPPE GELINAUD