1 DVD + 1 Blu-ray Deutsche Grammophon 073 6174
En juillet-août 2021 (voir O. M. n° 176 p. 33 d’octobre), cette nouvelle production fut l’événement du premier Festival de Bayreuth post-Covid. Heureuse initiative d’avoir filmé un spectacle aussi brûlant !
On réentend la direction incandescente d’Oksana Lyniv, première cheffe d’orchestre invitée dans la fosse du Festspielhaus, et la Senta déchaînée d’Asmik Grigorian, flamme vocale et actrice hors norme. La soprano arméno-lituanienne ravage tout, à la fois tendre et puissante, juste dans l’aigu, avec le mordant et l’endurance des très grandes.
La réalisation d’Andy Sommer souligne, également, le travail sidérant de Dmitri Tcherniakov. Son spectacle, joué sans entracte, se déroule comme un film noir, peuplé d’anti-héros contemporains. Dans un décor à la Broadchurch, le metteur en scène russe règle ses comptes avec les mafieux et les névroses familiales. Classisme et machisme sont au programme, pour déboucher sur un retournement de situation totalement hors livret. Les puristes s’énerveront d’un parti pris ausi radical. Les autres jugeront que le hors-sujet importe peu, quand le sens du théâtre est à ce point exacerbé.
On reste terrorisé par le granitique John Lundgren, Hollandais à la calvitie marmoréenne et aux graves abyssaux. Venu bousculer le prolétariat des pêcheries, son parcours sera celui de la réparation d’une enfance volée. Par comparaison, le Daland de Georg Zeppenfeld semble plus terne.
La Mary de Marina Prudenskaya est une victime poignante et, ici, un personnage clé. Avec son timbre rond et clair, le Pilote d’Attilio Glaser éclipse presque l’Erik du vaillant Eric Cutler, pauvre pêcheur en quête d’affection.
Chez Dmitri Tcherniakov, il n’y a pas d’amour, seulement de cruels rapports de force. Son humanité dostoïevskienne est brutale et sans espoir. Mais là où d’autres enfonceraient des portes ouvertes, l’enfant terrible du théâtre lyrique réussit à doter cette banalité du mal d’une terrible beauté.
VINCENT BOREL
