On l’attendait depuis si longtemps qu’on avait fini par perdre espoir ! La voici, pourtant, « la » version de référence du chef-d’œuvre de Spontini, gravée en studio, dans l’original français, grâce au Palazzetto Bru Zane.

« La Vestale sera superbe ou ne sera pas », écrivait Christian Wasselin dans ces colonnes, en conclusion de son reportage sur l’enregistrement réalisé en studio, sous les auspices du Palazzetto Bru Zane, en juin 2022 (voir O. M. n° 186 p. 6 d’octobre). Superbe, elle l’est, encore davantage que lors du concert donné, le 22 juin, au Théâtre des Champs-Élysées, avec les mêmes interprètes, qui souffrait de petites imperfections, absentes ici.

Premier constat : ce disque bouillonne de vie, celle qui doit innerver toute « tragédie lyrique » française. Rien de corseté, ni de pompeux, y compris dans les cortèges solennels qui occupent une place de choix dans l’ouvrage. On doit en remercier Christophe Rousset, qui trouve le juste équilibre entre l’héritage de Gluck et les fulgurances à venir de Berlioz (les deux compositeurs auxquels on pense le plus, en écoutant La Vestale, créée en 1807).

Non content de fouetter son remarquable ensemble Les Talens Lyriques, le chef français pousse les chanteurs à une expressivité maximale, en les arrêtant juste avant qu’ils ne basculent dans la surcharge et l’emphase. Pas une once de brutalité, pour autant, mais une musique qui avance de manière irrésistible. Et même de sublimes épanchements de tendresse, dans les moments de confidence et de prière.

La couleur des instruments d’époque, par ailleurs, épouse beaucoup mieux les contours et la substance du drame que celle des orchestres modernes, utilisés dans tous les enregistrements précédents, en studio comme sur le vif.

Avant d’en venir aux solistes, il convient de s’incliner bien bas devant la performance du Vlaams Radiokoor, époustouflant de précision et de netteté dans les attaques. Même dans les passages pris à un tempo d’enfer, il ne se laisse pas décontenancer, contribuant pour beaucoup à l’exemplaire réussite des trois finales.

La distribution est, très certainement, la plus adéquate et homogène jamais réunie dans l’ouvrage depuis le XIXe siècle. Même si l’on est de ceux que la couleur de voix très particulière et l’émission tubée d’Aude Extrémo irritent, il faut reconnaître que sa Grande Vestale est impressionnante d’autorité et d’aisance, dans une tessiture de mezzo-contralto hérissée de ruptures de registre, aux frontières de l’inchantable.

Nicolas Courjal est saisissant en Souverain Pontife, avec ce mélange de noirceur et de noblesse qui fait toujours le prix de ses incarnations maléfiques. Stanislas de Barbeyrac se montre impérial, tragédien lyrique autant que héros romantique, comme Licinius l’exige, et Tassis Christoyannis déborde de facilité et d’élégance en Cinna.

La complémentarité entre les deux est, d’ailleurs, idéale : un ténor grave et un baryton aigu, suffisamment proches pour rendre crédible leur amitié fusionnelle, mais suffisamment différents pour éviter toute confusion dans leurs duos, trio et ensembles.

Marina Rebeka, enfin, relevant le défi de l’un des plus beaux emplois de l’opéra français, campe une éblouissante Julia. D’abord, elle chante exceptionnellement bien, en se jouant de tous les pièges d’une écriture meurtrière. Ensuite, sans tout à fait égaler ses partenaires sur le plan de la qualité du français, la soprano lettone réussit à être constamment compréhensible, alors que, le soir du concert, sa diction était parfois enveloppée d’un flou rédhibitoire.

Son aplomb et son endurance dans l’éprouvant « Toi que ­j’implore  » soulèvent l’admiration, mais le sommet de son incarnation est, très certainement, le sublime « Ô des infortunés déesse ­tutélaire ! » (plus connu dans sa traduction italienne, « O nume ­tutelar », immortalisée au disque par Rosa Ponselle et Maria Callas). Son timbre envoûtant, la touchante simplicité et l’intensité de ses accents tirent les larmes.

Est-il utile de préciser que cet enregistrement écrase la concurrence ? Même si l’on regrette l’absence des ballets, justifiable à la scène ou en concert, plus contestable dans une version de studio, appelée à faire référence, il laisse loin derrière lui, pour en rester à l’édition originale française, les deux intégrales « officielles » jusqu’ici publiées : celle dirigée par Gustav Kuhn, avec Rosalind Plowright en Julia (Orfeo), et celle réunissant Riccardo Muti et Karen Huffstodt (Sony Classical).

Richard Martet

2 CD Palazzetto Bru Zane BZ 1051

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