Florian Sempey : Figaro ? Si ! Rossini
1 CD Alpha Classics ALPHA 791
Marc Minkowski & Florian Sempey : Rameau, Nouvelle Symphonie
1 CD Château de Versailles Spectacles CVS 062
Il fut un temps, pas si lointain, où l’on disait d’un comédien doté d’une forte personnalité qu’il était « une nature ». Incontestablement, Florian Sempey est de ceux-ci. Mais, pour un chanteur, une telle qualification ne suffit pas. Il lui faut être un musicien irréprochable, ainsi qu’un technicien accompli, surtout lorsqu’il s’agit de consacrer un programme entier à Rossini.
Florian Sempey est un bon musicien, qui prête attention au galbe de la mélodie, qui sait animer un phrasé. Ce comédien qui brûle les planches peut, aussi, s’enorgueillir de posséder une technique solide – la vocalisation est facile, et la maîtrise du chant syllabique, évidente –, encore que certaines notes aiguës, données en force sur une voyelle, ne s’épanouissent pas librement, la voix semblant alors plafonner.
La scène est une chose, le disque en est une autre. Pour ce récital, gravé en studio, en janvier 2021, Figaro et son immortel « Largo al factotum » ouvrent le bal : un rôle emblématique de Florian Sempey, dans lequel les salles les plus illustres l’ont accueilli. La faconde et la rondeur du baryton français y sont particulièrement à leur avantage, à tel point que le chanteur et le personnage ne font plus qu’un.
Un écueil, toutefois : si ce barbier exubérant passe la rampe pour la plus grande joie des spectateurs, à la seule écoute, il paraît un rien trop extraverti. Inutile de dire que, dans le duo « Dunque io son », Karine Deshayes lui oppose la plus pimpante des Rosina.
Les airs de Germano (La scala di seta) et Don Parmenione (L’occasione fa il ladro, avec les répliques pertinentes de Yoann Dubruque, élève comme lui de Maryse Castets, au CRR de Bordeaux) montrent l’interprète à son meilleur. Capable de nuances séduisantes, Florian Sempey atteint ici un équilibre quasi idéal entre théâtre et musique.
Il se montre tout aussi convaincant en Dandini, dans le duo « Un segreto d’importanza » (La Cenerentola), face à l’excellent Don Magnifico de Nahuel Di Pierro. C’est même l’un des meilleurs moments du disque, égalé par la confrontation entre Taddeo et Isabella (L’Italiana in Algeri), où Karine Deshayes se révèle aussi pétillante que dans Il barbiere di Siviglia.
Le Rossini bouffe français n’est pas oublié : Raimbaud du Comte Ory offre à Florian Sempey l’occasion d’une démonstration de volubilité, conduite avec gourmandise. Attention, spoiler ! Le minutage de son air (« Dans ce lieu solitaire ») paraît plus long que d’ordinaire mais, quelques secondes après l’ultime mesure, un piano entre en jeu et attaque l’introduction de La Chanson du bébé (non mentionnée dans la liste des titres), l’un des Péchés de vieillesse les plus hilarants, dans le style pipi-caca. Florian Sempey prend un malin plaisir à lui faire un sort !
Le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux célèbre « il grande Kaimakan » (L’Italiana in Algeri), avec pétulance. Quant à l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, sous la baguette brillantissime de Marc Minkowski, il n’est avare ni de sonorités astringentes, révélant des bois de belle qualité, ni de punch dans les Ouvertures d’Il barbiere di Siviglia et de L’Italiana in Algeri.
Il n’est pas surprenant de retrouver Florian Sempey dans des pages de Rameau, les chanteurs de sa génération, ayant compris que la spécialisation était aussi inutile que dangereuse, n’hésitant pas à faire le grand écart entre les répertoires. Mais ses fans seront forcément déçus de constater que sa participation à l’album Rameau : Nouvelle Symphonie, également gravé en studio, en janvier 2021, est réduite à la portion congrue : quatre airs seulement.
Si la voix ne perd rien de ses qualités, on se rend compte que le rôle d’Orcan, dans Les Paladins (« Je puis donc me venger moi-même »), met à l’épreuve son registre grave plus que dans l’intégrale récemment publiée par Château de Versailles Spectacles (voir O. M. n° 180 p. 71 de mars 2022) et qu’il a tendance à trop solliciter le texte.
Quelques raideurs entachent l’air d’Huascar, dans Les Indes galantes (« Soleil, on a détruit tes superbes asiles »), mais le personnage est là. Bien plus convaincants, parce que plus nuancés, « Monstre affreux » (Anténor dans Dardanus) et « Nature, Amour » (Pollux dans Castor et Pollux).
L’essentiel du disque, toutefois, est défini par son titre. Remontons le temps. En juin 2003, Marc Minkowski et Les Musiciens du Louvre enregistraient, au Théâtre de Poissy, alors haut lieu du baroque en France, un album alléchant : Rameau, une symphonie imaginaire (Archiv Produktion/Deutsche Grammophon). Une sélection de danses et de passages instrumentaux, ouvrant grand les portes d’un monde de fantaisie, au charme irrésistible.
Deux décennies plus tard, le chef récidive, avec d’autres pages orchestrales et les quelques interventions vocales susmentionnées. L’enchantement est le même : des musiciens en pleine forme, galvanisés par un mentor qui entretient leur enthousiasme ; des musiques magnifiques, qui glorifient Rameau maître de l’harmonie, du rythme et de la couleur instrumentale.
Marc Minkowski à son meilleur, dans son domaine d’élection : que demander de mieux ?
MICHEL PAROUTY