2 CD Erato 0190296377341

En 2016 (voir O. M. n° 118 p. 69 de juin), Jacques Bonnaure n’avait pas tari d’éloges sur Lucio Silla, dirigé par Laurence Equilbey et mis en espace par Rita Cosentino, à l’Opéra Royal de Versailles. Réalisé sur le vif, avec exactement la même équipe, à La Seine Musicale de Boulogne-Billancourt, les 22 et 24 juin 2021, l’enregistrement soulève le même enthousiasme, à un bémol près : les coupures, acceptables à la scène, beaucoup moins au disque.

Dans son texte de présentation, Laurence Equilbey se réfère à la version de Nikolaus Harnoncourt, également captée sur le vif, avec des instruments anciens, à Vienne, en 1989 (Teldec/Warner Classics). À juste titre, puisque, comme le chef autrichien, elle supprime le rôle d’Aufidio, tribun et ami de Lucio Silla, et taille sans pitié dans les récitatifs, en sacrifiant en partie la lisibilité de l’intrigue et l’approfondissement psychologique des personnages. Surtout, elle enlève trois numéros à la partition de Mozart : « Se il labbro timido » de Celia (n° 10), « Ah, se a morir mi chiama » de Cecilio (n° 14) et « Parto, m’affretto » de Giunia (n° 16).

Comment ne pas s’en irriter, quand on songe à ce qu’Ilse Eerens, Franco Fagioli et Olga Pudova auraient fait de ces airs, dont les deux derniers comptent parmi les plus beaux de l’opéra ? La soprano belge, dotée d’une fort jolie voix, campe une Celia ni mièvre, ni pointue, avec de ravissantes notes piquées (la spécialité de Daniella Menci, la créatrice).

Le contre-ténor argentin, pas du tout effrayé par le rôle de Cecilio, taillé sur mesure pour le célèbre castrat soprano Venanzio Rauzzini, est impressionnant de virtuosité (quelle vélocité dans les roulades !) et d’intensité dramatique (quelle émotion dans le récitatif accompagné « Morte, morte fatal », au I). La diction n’est certes pas impeccable, avec des « a » et « o » insuffisamment différenciés, le timbre n’a pas le velours de celui de Cecilia Bartoli (avec Nikolaus Harnoncourt) dans « Pupille amate », mais personne n’a fait preuve d’autant de punch et de goût du risque dans « Quest’improvviso tremito », ici absolument sidérant.

Conjuguant énergie et émotion, la Giunia d’Olga Pudova soutient avec panache les longues roulades du redoutable « Ah, se il crudel periglio », avec une émission parfaitement homogène et un souffle impeccablement contrôlé. Il serait, dès lors, injuste de reprocher à la soprano russe de ne pas posséder le timbre exceptionnel, ni d’imposer les sublimes raffinements, de ses trois principales devancières au disque : Arleen Auger (avec Leopold Hager, Deutsche Grammophon/Philips), Lella Cuberli (avec Sylvain Cambreling, Ricercar/Brilliant Classics) et Edita Gruberova (avec Nikolaus Harnoncourt).

Précise, engagée, brillante dans les vocalises, la soprano suisse Chiara Skerath accomplit un sans-faute en Lucio Cinna, Alessandro Liberatore étant le seul à soulever quelques réserves dans le rôle-titre. En 2016, Jacques Bonnaure évoquait le « timbre solaire » du ténor italien. Cinq ans plus tard, le soleil n’est plus de la partie, l’aigu plafonne, l’interprète compensant par son sens de la caractérisation et son mordant dans ce qu’il reste des récitatifs.

Le Jeune Chœur de Paris et l’Insula Orchestra n’appellent aucun reproche, sous la baguette nerveuse, mais pas trop, d’une Laurence Equilbey qui sait créer le drame, en gardant la main légère. Du très, très beau travail !

En conclusion, Lucio Silla attend toujours sa version audio de référence. En réunissant en studio les mêmes chef, orchestre, chœur et solistes – sauf pour Lucio Silla, où l’on distribuerait volontiers Michael Spyres –, en faisant venir un ténor pour Aufidio, et en conservant tous les récitatifs, Erato avait, en ce mois de juin 2021, une occasion en or de la produire.

RICHARD MARTET

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