2 DVD Cmajor 761208 & 1 Blu-ray CM 761304

Il y a toujours un décalage, à Bregenz, entre ce que l’on perçoit, assis au milieu du parterre du Festspielhaus, doté d’une acoustique peu favorable, et ce que l’on entend, lorsque le DVD paraît, au printemps suivant. Pour cette production du rarissime Nerone d’Arrigo Boito, captée en juillet 2021 (voir O. M. n° 176 p. 34 d’octobre), l’effet de surprise est encore plus net que d’habitude, grâce à un enregistrement particulièrement équilibré, voire spectaculaire, qui requalifie l’ensemble à un niveau indiscutablement supérieur.

Lors de la création posthume de Nerone, le 1er mai 1924, à la Scala de Milan, Arturo Toscanini avait fait appel au gratin du chant international de l’époque : Aureliano Pertile, Marcel Journet, Rosa Raisa… et le prometteur Ezio Pinza. Mais ce n’étaient évidemment plus les chanteurs envisagés par Boito, qui avait commencé à écrire son opéra, un demi-siècle plus tôt, avec à l’esprit les futurs créateurs de l’Otello de Verdi (Milan, 1887), notamment Francesco Tamagno et Victor Maurel, pointures dont la distribution de Bregenz peut donner une idée plutôt correcte.

Doté d’une prononciation percutante, le baryton italien Lucio Gallo est un impressionnant Simon Mago, n’hésitant pas à forcer le trait, dans un emploi de conspirateur constamment perfide. Pour Nerone, le ténor mexicain Rafael Rojas, bien qu’en relative fin de carrière (il nous a malheureusement quittés brutalement, le 18 janvier dernier, à l’âge de 59 ans), garde une voix d’une remarquable solidité.

Les deux rôles féminins sont lourds, eux aussi. En particulier Asteria, que la soprano russe Svetlana Aksenova défend vaillamment, après quelques problèmes d’échauffement pour stabiliser ses aigus, face à la Rubria plus lyrique d’Alessandra Volpe, qui garde un beau timbre chaleureux sur l’ensemble d’une large tessiture de mezzo.

Si l’on ajoute les mérites de Brett Polegato et Miklos Sebestyen, en Fanuèl et Tigellino, et la brillante direction d’orchestre du chef ­allemand Dirk Kaftan, on tient là rien moins que le premier enregistrement moderne vraiment à la hauteur de l’ouvrage.

Avec, en prime, une mise en scène très personnelle d’Olivier Tambosi, bien recadrée par l’intelligente réalisation de Tiziano Mancini. Une atmosphère de cauchemar expressionniste alla Pabst ou Murnau, qui brasse les époques et les genres et, in fine, au vu des écrasantes difficultés de l’ouvrage,tient plus qu’habilement la route. Avec même, à l’écran, quelques passages exceptionnels, dont l’incendie de Rome, représenté par la simple présence hallucinée de Nerone, en manteau de fourrure blanc taché de sang, devant le flamboiement écarlate du rideau de scène.

Nerone est, sans nul doute, un opéra difficile à de nombreux points de vue, mais là, on lui donne toutes ses chances.

LAURENT BARTHEL

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