Julie Fuchs (Leïla) – Cyrille Dubois (Nadir) – Florian Sempey (Zurga) – Luc Bertin-Hugault (Nourabad)
Les Cris de Paris, Orchestre National de Lille, dir. Alexandre Bloch
2 SACD Pentatone PTC 5186 685
Dans son compte rendu du concert donné au Théâtre des Champs-Élysées, le 12 mai 2017, Catherine Scholler n’avait pas ménagé ses éloges (voir O. M. n° 130 p. 74 de juillet-août). L’enregistrement, effectué juste avant à Lille (du 9 au 11 mai), est annoncé « Live Recording » ; il s’agit, plus probablement, d’un mélange de prises en public (le concert du 10 mai au Nouveau Siècle) et de « raccords » en studio.
Pour l’essentiel, le disque confirme les impressions de la soirée parisienne. Comme dans sa toute récente intégrale de La Reine de Chypre d’Halévy (voir O. M. n° 140 p. 78 de juin 2018), Cyrille Dubois livre une extraordinaire leçon d’élégance, avec ce timbre clair et cette émission haut placée qui rattachent Nadir à la meilleure tradition des ténors d’« opéra-comique » français, héritée du XVIIIe siècle. Netteté de la diction, facilité de l’aigu, sens des nuances, on ne sait qu’admirer le plus, en soulignant néanmoins que certains pourront reprocher à cette manière de chanter un zeste de préciosité.
Raccords aidant, Julie Fuchs n’écourte plus ses aigus et campe une Leïla toute de lumière et de séduction. S’il fallait lui adresser un reproche, ce serait un excès de contrôle, sans doute imputable à son manque de familiarité avec le rôle. À force de surveiller justesse, vibrato et prononciation, elle manque parfois un rien de spontanéité.
Avec son timbre somptueux et son émission arrogante, Florian Sempey campe un Zurga aussi autoritaire qu’émouvant. Sauf qu’on le souhaiterait, lui aussi, un tout petit peu plus libéré, certains accents accusant un excès d’emphase, comme si le baryton français n’avait pas entièrement confiance dans ses moyens. Question d’expérience du rôle, là encore ?
Moins marquant, Luc Bertin-Hugault tire honorablement son épingle du jeu en Nourabad, sous la baguette d’un Alexandre Bloch particulièrement à l’aise dans cette partition. Le nouveau directeur musical de l’Orchestre National de Lille, en fonction depuis septembre 2016, respire avec cette musique comme s’il la dirigeait depuis trente ans (alors qu’il est né en 1985 !). Les passages typiquement « opéra-comique » sont rendus avec ce qu’il faut de précision et de verve, tandis que le finale du deuxième acte, héritage direct du « grand opéra », transporte l’auditeur sur les cimes par sa pompe et sa flamme.
L’Orchestre National de Lille, dont les petites imperfections soulignées par Catherine Scholler sont évidemment absentes de l’enregistrement, répond avec enthousiasme à sa baguette, à l’instar des Cris de Paris, préparés par Geoffroy Jourdain. Reste le choix de la version originale de 1863, logique car la plus proche de ce qu’on sait des volontés de Bizet, mais qui, s’agissant de la fin du duo Nadir/Zurga (« Amitié sainte, unis nos âmes fraternelles ! »), nous fera toujours moins d’effet que la reprise de « Oui, c’est elle ! C’est la déesse ».
Et si cette intégrale s’avérait la plus équilibrée de toute la discographie des Pêcheurs de perles ? Impossible, évidemment, de ne pas mettre au sommet les miraculeux Nadir de Léopold Simoneau, Nicolai Gedda ou Alain Vanzo, ni les impressionnants Zurga d’Ernest Blanc ou Michel Dens. Mais le trio principal, comme le chef, réussissent ici un cocktail de jeunesse et de charme auquel il est impossible de résister !
RICHARD MARTET