Michael Spyres (Énée) – Stéphane Degout (Chorèbe) – Philippe Sly (Panthée) – Nicolas Courjal (Narbal) – Cyrille Dubois (Iopas) – Marianne Crebassa (Ascagne) – Marie-Nicole Lemieux (Cassandre) – Joyce DiDonato (Didon) – Hanna Hipp (Anna) – Stanislas de Barbeyrac (Hylas) – Jean Teitgen (L’Ombre d’Hector)
Chœurs de l’Opéra National du Rhin, Badischer Staatsopernchor, Chœur et Orchestre Philharmonique de Strasbourg, dir. John Nelson
4 CD + 1 DVD bonus Erato 90295762209
« L’enregistrement annoncé devrait marquer la discographie », concluait Christian Wasselin, dans son compte rendu de la version de concert des Troyens, donnée à Strasbourg, les 15 et 17 avril 2017 (voir O. M. n° 129 p. 73 de juin). Osons l’écrire : cette intégrale sur le vif, complétée par quelques « patch sessions » (corrections en studio), est globalement la plus satisfaisante de toutes les éditions audio jamais publiées.
Saluons d’abord son maître d’œuvre, un John Nelson de bout en bout enthousiasmant. Accordant autant d’attention aux plus infimes détails instrumentaux qu’à l’architecture d’ensemble, le chef américain impulse à la monumentale fresque berliozienne un souffle irrésistible. Incisive mais jamais brutale, majestueuse mais exempte de toute lourdeur, tour à tour animée par une formidable énergie et infiniment tendre ou sensuelle, sa direction captive, tout en offrant un écrin de rêve à une distribution d’un niveau exceptionnel.
La reine en est sans doute Joyce DiDonato, incontestablement la meilleure Didon de la discographie, par le rayonnement du timbre, la beauté du phrasé, l’homogénéité de l’émission, l’aisance souveraine de l’aigu et l’expressivité de la diction. Surprenante, fascinante, bouleversante, la mezzo américaine livre peut-être ici son incarnation discographique la plus intense, la plus aboutie. Et en prise de rôle, en plus !
Un rien tendue sur certains aigus, Marie-Nicole Lemieux impressionne en Cassandre, autant par l’humanité de ses accents, à la fin de la « Pantomime » n° 6 (« Andromaque et son fils ! »), que par la violence tétanisante de « Non, je ne verrai pas » et du finale du II. Elle a la chance, en plus, d’unir sa voix à celle de Stéphane Degout, Chorèbe d’une vibrante éloquence.
Somptueux encore, le Narbal de Nicolas Courjal (impossible de résister à la splendeur de son « De quels revers menaces-tu Carthage » !). Ainsi que l’Iopas touchant de Cyrille Dubois, l’Hylas solaire de Stanislas de Barbeyrac, l’imposante Ombre d’Hector de Jean Teitgen, le percutant Panthée de Philippe Sly, l’Ascagne juvénile de Marianne Crebassa, tous portant haut la flamme d’un chant francophone à son meilleur.
Évidemment, tout n’est jamais parfait dans le meilleur des mondes. On aurait ainsi préféré une Clémentine Margaine à Hanna Hipp en Anna, la mezzo polonaise, sans être en rien déshonorante, évoluant plusieurs crans en dessous de ses partenaires dans les duos avec Didon et Narbal. Quant à Michael Spyres, il manque un peu d’héroïsme en Énée, comme Christian Wasselin l’avait déjà souligné. Mais le ténor américain, favorisé par les micros, compense par sa remarquable technique et sa musicalité.
L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg est à la fois brillant et ductile (une mention pour la clarinette solo de Sébastien Koebel dans la « Pantomime »), et les chœurs font preuve de vaillance, même si une prise de son studio leur aurait sans doute conféré davantage de netteté.
Péchés véniels, en vérité. Nous reviendrons toujours à la première intégrale de Colin Davis (Philips), pour le chef britannique et, bien sûr, pour l’Énée de Jon Vickers, monumental et incomparable. Mais, pour écouter Les Troyens de la première à la dernière note, c’est désormais vers la version Erato que nous nous tournerons.
RICHARD MARTET