John Relyea (Barbe-Bleue) – Ekaterina Gubanova (Judith) – Barbara Hannigan (Elle) Orchestre de l’Opéra National de Paris, dir. Esa-Pekka Salonen. Mise en scène : Krzysztof Warlikowski. Réalisation : Stéphane Metge (16:9 ; stéréo : PCM ; DTS 5.1) 1 DVD Arthaus Musik 109364 &&&&&
En novembre 2015, l’Opéra National de Paris proposait, au Palais Garnier, un double programme insolite, reliant, ou plutôt unissant, deux partitions lyriques majeures du XXe siècle, stylistiquement aux antipodes l’une de l’autre (voir O. M. n° 113 p. 48 de janvier 2016). L’avant-gardisme du Bartok de 1911 (date de composition du Château de Barbe-Bleue, créé en 1918) affrontait le traditionalisme, à peine teinté de modernité, du Poulenc de 1958 (année d’écriture de La Voix humaine, créée en 1959). Un seul point commun : de saisissants portraits de femmes.
De ces contes cruels, la mise en scène de Krzysztof Warlikowski renforce la désespérante noirceur. Judith et « Elle » sont-elles des victimes ? Judith paiera cher le prix de son obstination. « Elle » ira jusqu’au meurtre de celui qui l’abandonne – astucieusement conçu comme un flash-back, son monologue ouvre une porte sur la folie.
Ce spectacle sans concession, dans le décor unique un rien esthétisant mais contribuant à créer l’angoisse de Malgorzata Szczesniak, est soutenu par une direction d’acteurs d’une acuité diabolique, que la mise en images de Stéphane Metge permet d’apprécier au mieux – les gros plans ne sont pas toujours flatteurs (le maquillage de Barbara Hannigan montre les traces de ses larmes), mais ils sont indispensables.
Par rapport à la première du 23 novembre (la captation a été réalisée en décembre), John Relyea investit mieux son personnage ; son timbre sonore et le tranchant de ses mots lui permettent de camper un Barbe-Bleue aussi émouvant qu’inquiétant. Ekaterina Gubanova est superbe d’ampleur et de présence en Judith. Quant à Barbara Hannigan, elle montre, une fois encore, combien elle est unique, assistante blonde et très vamp du magicien qui introduit les contes, mais surtout « Elle » déchirante.
La direction superlative d’Esa-Pekka Salonen respecte la singularité de chaque compositeur, tout en maintenant la tension qui rend inéluctable la tragédie, soulignant combien cette vision personnelle de deux chefs-d’œuvre est captivante.
MICHEL PAROUTY