Pour son premier récital en solo chez Sony Classical, gravé en studio, en avril 2019, Aleksandra Kurzak n’a pas choisi la facilité : quatre langues, un éventail de rôles allant du pur lirico au grand spinto, de longues envolées lyriques, émaillées d’escapades dans la virtuosité la plus débridée. Le résultat, disons-le d’emblée, est éblouissant de maîtrise et de sensibilité, soutenant sans peine la comparaison avec ses plus illustres devancières.

Après sa fort séduisante participation à l’album Puccini in Love, en duo avec Roberto Alagna, enregistré en février 2018 (Sony Classical, déjà), sa réussite dans Turandot (« Signore, ascolta ! »), Madama Butterfly (« Un bel di vedremo ») et Tosca (« Vissi d’arte ») n’est pas une surprise, pas plus que dans Adriana Lecouvreur (« Io son l’umile ancella ») et Pagliacci (« Qual fiamma… Stridono lassù »), stylistiquement proches des précédents. Sauf qu’en quatorze mois, la voix a encore gagné en richesse et en séduction.

Dès lors, comment résister à tant de splendeur, dispensée avec une générosité communicative et une rare intuition stylistique ? Liù, Cio-Cio-San, Nedda, Tosca et Adriana s’imposent dès les premières notes : jeunes, rayonnantes, émouvantes, avec juste ce qu’il faut de simplicité (pour les trois premières) et de sophistication (pour les deux dernières). La beauté des piani, la sensualité du phrasé, la lumière de l’aigu, l’intelligence de la diction entraînent l’auditeur dans un univers sonore tout de luxe et de volupté.

Très bien chantée, dans un français impeccable, mais avec des accents trop « grande dame », Micaëla (« Je dis que rien ne m’épouvante ») est sans doute moins indispensable, à l’instar de Rusalka (« Chant à la lune »), où d’autres, Renée Fleming en tête, se sont montrées encore plus envoûtantes. Halka (quel air magnifique !) et Tatiana d’Eugène Onéguine (Scène de la lettre), incomparablement juvéniles et touchantes, s’écoutent, en revanche, avec un plaisir infini.

La vraie surprise vient des extraits d’Ernani, Il trovatore et I vespri siciliani. Dans ce Verdi « belcantiste », encore tributaire de l’héritage de Bellini et Donizetti, on pouvait craindre qu’Aleksandra Kurzak n’ait perdu l’agilité de ses premiers récitals pour Decca, gravés en 2010 et 2012 (Gioia ! et Bel raggio : Rossini Arias). Il n’en est rien, comme en témoignent les vocalises impeccables de la cabalette d’Elvira (« Tutto sprezzo che d’Ernani ») et du redoutable « Boléro » d’Elena (« Mercè, dilette amiche »).

Pour ce qui est des mouvements lents, tant le « D’amor sull’ali rosee » de Leonora que l’« Ernani, involami » d’Elvira révèlent une splendide conduite du souffle, un vrai travail sur le style verdien, l’éclaboussante jeunesse du timbre faisant le reste. Aleksandra Kurzak envisage-t-elle de poursuivre dans cette voie ? On rêve certes de la découvrir, à la scène, dans Tosca et Adriana Lecouvreur. Mais, nous semble-t-il, la soprano polonaise aurait tout intérêt, après Luisa Miller à Monte-Carlo, en 2018, à creuser la piste du Verdi vocalisant. C’est le moment.

À la tête de l’excellent Morphing Chamber Orchestra de Vienne, Frédéric Chaslin est un bon accompagnateur, sans plus, qui n’évite pas le clinquant tapageur dans I vespri siciliani. Ce qui ne contrarie en rien le formidable accomplissement de ce disque.

RICHARD MARTET

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