Dans l’interview qu’il avait accordée à Opéra Magazine au début de son mandat à la direction générale de l’Opéra national de Lorraine, Matthieu Dussouillez décrivait les grandes lignes de son projet. Deux saisons et demie plus tard, nous faisons le point avec lui sur la dynamique de répertoire et de création traversée depuis lors par la maison nancéienne.
Depuis 2019 dans un panier neuf
Alcina et L’Amour des trois oranges, Julie de Boesmans et Fortunio de Messager… Matthieu Dussouillez fait le grand écart des titres, en gardant cependant à cœur de « faire vivre ce qui a été écrit depuis Wozzeck. De nombreuses œuvres contemporaines sont aussi accessibles, immédiates et spontanées que la composition de Berg. L’opéra est universel parce qu’il cherche l’expérience du sensible, il y a depuis l’enfance une force presque métaphysique dans le rapport à la voix ». Si le patron de l’institution a conscience qu’une œuvre du XXIe siècle ne constitue pas forcément un produit d’appel pour découvrir l’opéra, il croit au « choc spontané avec une œuvre », comme celui, déterminant pour sa carrière professionnelle, qu’il a eu au contact de Tristan und Isolde. « Je suis convaincu qu’à 30 ou 40 ans, on peut intégrer l’opéra à ses habitudes par l’intermédiaire des standards. D’où l’importance pour nous de ne jamais cesser de les programmer chaque saison, en garantissant des places pour des personnes qui viendraient pour la première fois à l’opéra. » L’éducation artistique et culturelle dans les écoles, les EHPAD ou les hôpitaux, est aussi un axe fort pour « développer le rapport à la cité. Nous avons multiplié par 20 le nombre de projets créatifs depuis mon arrivée, nous avons rendu l’approche plus participative auprès des publics empêchés. Nous voulons que chaque habitant du territoire se sente directement ou indirectement concerné par son Opéra. C’est une question de valeurs et de survie à long terme des institutions lyriques, et ce qui justifie aussi aujourd’hui les subventions ».
NOX, les nouveaux atours de la création lyrique
Nancy Opera Xperience (NOX) dessine un autre élan pour les œuvres nouvelles, et s’appuie sur la « collaboration pour faire entrer l’opéra chez les gens et dans le cœur des gens ». Selon Matthieu Dussouillez, « la création lyrique, quoi qu’on en dise, ne se porte pas très bien. Est-il contemporain, en 2022, qu’un compositeur travaille dans son coin sur un livret écrit en amont, qu’un metteur en scène réfléchisse à un spectacle sans rendu musical concret, puis que des chanteurs découvrent une partition à la fin de la chaîne ? On n’entend réellement la musique que le jour où tous les acteurs musicaux sont en place ». Le directeur a donc changé la nature même du processus. « Quand on investit des centaines de milliers d’euros dans une création scénique, l’angoisse de l’erreur est une pression énorme qui amène beaucoup de compositeurs à se replier sur les codes, à ne pas oser transgresser. » NOX consiste donc en une « série d’expériences avec des nouveaux modes de production », dans laquelle le travail « en équipe, à l’horizontale » implique que le rythme se construise avec les artistes, que les chanteurs soient au cœur de l‘historique, « à la manière de l’écriture de plateau au théâtre ». Derrière l’idée de NOX, il y a « la proposition d’une voie pour tenter de réconcilier la création lyrique avec la société et avec le territoire, mais certainement pas dans une vision « démagogique », car prétendre que tout le monde va se passionner du jour au lendemain pour la création contemporaine serait mensonger. En revanche, nous pouvons essayer de proposer un écho au quotidien des gens avec des sujets et des formes qui interpellent. »
NOX ou la flexibilité des formats
La première étape de ce voyage a vu le jour en mars 2021 sous la forme de 12 courts-métrages (toujours disponibles), d’après des micro-trottoirs effectués dans la Métropole du Grand Nancy. « Pour Êtes-vous amoureux ? – NOX#1, nous devions transformer l’Opéra en un musée de l’amour des Nancéiens, sans utiliser le rapport frontal scène-salle. La crise sanitaire ne nous a pas permis d’accueillir de public dans l’Opéra, donc nous avons bâti un musée géant dans la ville, à l’aide de cubes et de QR codes que les passants pouvaient scanner avec leur smartphone ». Plusde 30 000 personnes se sont intéressées au projet, en visitant la carte numérique. « Nous n’aurions pas pu toucher autant de monde sur 5 représentations seulement », fait remarquer Matthieu Dussouillez, qui ajoute que le compositeur Paul Brody injecte « humour, autodérision et fraîcheur à cette musique écrite à partir d’histoires somme toute banales. Il souligne parfois des drames, tout en s’affranchissant du sérieux habituellement présent dans les œuvres contemporaines ».
En début de saison 2022-2023, en alternance avec Like flesh (étrenné à l’Opéra de Lille), NOX#2 sera une création lyrique de 20 minutes sur la façade de l’Opéra national de Lorraine. Cette « variation sur le thème de la métamorphose de la nature », telle une version alternative du son et lumière estival de la place Stanislas, sera mise en musique par le Franco-Suisse Mathieu Corajod.
Un troisième volet est actuellement en préparation. 12 nouvelles histoires d’Êtes-vous amoureux ? ou nouveau format ? « Tout est possible ! »Au-delà de la participation du Chœur et de l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, NOX a eu le mérite de « créer une dynamique et une fierté entre les équipes de l’Opéra ».
L’avenir de l’opéra contemporain continuera cependant à se vivre aussi en salle : « Si NOX est là pour interroger la forme comme le fond, je veux continuer à croire à la forme traditionnelle de la création lyrique, avec un orchestre en fosse. » En avant pour de futures surprises de création !
Présentation du projet NOX#2 (entrée libre) à la Salle Poirel (Nancy) le 2 avril 2022 à 20h
Productions lyriques à l’Opéra national de Lorraine jusqu’à la fin de la saison 2021-2022 :
Julie, de Philippe Boesmans, du 27 mars au 1er avril
Fortunio, d’André Messager, du 24 au 30 avril
Où je vais la nuit, librement adaptée d’Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck, au Théâtre de la Manufacture CDN Nancy Lorraine du 27 au 29 avril
Projet académique et participatif La Flûte (Remix) le 5 mai
Tosca, de Giacomo Puccini, du 22 juin au 2 juillet