Comme c’est souvent le cas avec les opéras de cette époque, mieux vaut oublier ce que l’on sait de l’histoire et de la géographie, pour pouvoir suivre les aventures tourmentées de Vasco de Gama, le célèbre navigateur portugais, et de Sélika, la reine devenue esclave. Sélika conduit chez elle celui qu’elle aime, « dans une île de la côte orientale de l’Afrique », où se trouve « un temple d’architecture indienne » et où officie « le Grand Prêtre de Brahma ».
Truffé d’invraisemblances, le livret d’Eugène Scribe comporte tous les ingrédients qui pouvaient plaire, alors, avec une bonne dose d’exotisme s’ajoutant aux traditionnels conflits sentimentaux, politiques ou religieux.
Meyerbeer avait porté ce projet pendant près de trente ans, et c’est après sa mort, survenue le 2 mai 1864, que L’Africaine, moyennant coupures et changement de titre – l’original était Vasco de Gama –, est finalement créée à l’Opéra de Paris, Salle Le Peletier, le 28 avril 1865. Une soirée de prestige, présidée par l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie, et un succès immédiat, dans lequel les sopranos Marie Sass (Sélika) et Marie Battu (Inès), le ténor Emilio Naudin (Vasco de Gama) et le baryton Jean-Baptiste Faure (Nélusko) ont leur part. Et qui se répercute rapidement dans tous les grands théâtres, en France et à l’étranger.
Ainsi, dès le 5 avril 1866, le chef-d’œuvre posthume de Meyerbeer conquiert la scène marseillaise (quatorze représentations consécutives, puis vingt-huit, la saison suivante). L’Africaine y reviendra en force, à plusieurs reprises, et ce durant près d’un siècle, jusqu’à une ultime représentation, le 18 janvier 1964.
Sur la lancée des Huguenots, joués en juin dernier (voir O. M. n° 194 p. 75 de juillet-août 2023), l’Opéra de Marseille met fin, le 3 octobre, à cette longue absence, avec une nouvelle production, dirigée par Nader Abbassi et mise en scène par Charles Roubaud.
Poursuivant son exploration des grandes héroïnes de Meyerbeer, Karine Deshayes troquera les habits de Valentine pour ceux de Sélika, tandis qu’à ses côtés, Hélène Carpentier, Florian Laconi et Jérôme Boutillier se partageront les rôles d’Inès, de Vasco de Gama et de Nélusko.
Aujourd’hui plus que jamais, il est réconfortant de voir que, fidèle à son glorieux passé, l’Opéra de Marseille est toujours là pour défendre, comme elle le mérite, une œuvre d’une complexité et d’une richesse infinies.
PIERRE CADARS