En février 2020, au Bayerische Staatsoper de Munich, tout juste avant la fermeture des théâtres pour cause de pandémie, Katie Mitchell réalisait un diptyque Bartok, dirigé par Oksana Lyniv, où Le Château de Barbe-Bleue de Bartok était assorti, en guise de prologue, du Concerto pour orchestre. Quatre-vingt-dix minutes de musique sans entracte, où la metteuse en scène britannique expérimentait un genre hybride : ciné-concert muet d’abord, avec Nina Stemme en enquêtrice lancée au trousses d’un serial killer nommé Barbe-Bleue, opéra ensuite, où Judith, poursuivante devenue prisonnière, tentait de reprendre, cette fois à pleine voix, l’ascendant sur son tortionnaire. Un thriller délibérément sombre et glauque, assumé par sa conceptrice comme un projet fondamentalement féministe.
À l’Opéra National du Rhin, Katie Mitchell a prévu d’insérer La Voix humaine de Poulenc dans un montage comparable, plus compact encore – et toujours dirigé par une femme, la cheffe française Ariane Matiakh. À la différence que, cette fois, le cinéma n’y sert pas à donner davantage de carrure à la protagoniste de l’opéra, en nous montrant son passé, d’où elle vient, ce qu’elle a déjà vécu, mais à nous révéler ce qui advient après : le devenir possible du personnage de Cocteau et Poulenc, une fois sa rupture téléphonique définitivement consommée. Des images à nouveau confiées au réalisateur britannique Grant Gee, et sonorisées par les treize minutes d’écriture orchestrale en nappes changeantes d’Aeriality, pièce d’Anna Thorvaldsdottir, créée à Reykjavik en 2011, par l’Orchestre Symphonique d’Islande. Un « épilogue cinématographique où se mêlent souvenirs vécus et réalité alternative, dans une réminiscence impossible ».
Pour Katie Mitchell, La Voix humaine est « une expérience troublante où une femme, avec une misogynie intériorisée, se rabaisse et s’humilie pour un homme sans cœur qui ne vaut manifestement pas qu’elle lui consacre son temps ». Ensuite, « le film invitera le public à pénétrer dans le paysage surréaliste de la nuit strasbourgeoise, où la femme – à qui l’on donne une seconde chance dans la vie – trouve sa voie vers une nouvelle vision de ce que c’est que d’être une femme et de se libérer d’une identité construite par les hommes ».
Un projet d’un féminisme à nouveau ouvertement revendiqué, donc, dans lequel on peut s’attendre à ce que Patricia Petibon s’implique avec son tempérament volcanique coutumier. Autant par la voix, dans le monodrame de Poulenc, que par l’intensité de sa présence muette sur les images filmées.
LAURENT BARTHEL
À voir :
La Voix humaine de Francis Poulenc, avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg et Patricia Petibon (Elle), sous la direction d’Ariane Matiakh, et dans une mise en scène de Katie Mitchell, à l’Opéra National du Rhin, du 18 février au 14 mars 2023.