Brèves L’opéra fait débat dans Le Monde
Brèves

L’opéra fait débat dans Le Monde

20/02/2023
© Julien Benhamou

Nous en parlions au début du mois : les annulations se succèdent dans les institutions lyriques des régions. Après le cri d’alarme lancé en décembre dernier par des élus et des syndicats, les preuves de l’urgence d’une réorganisation budgétaire s’accumulent. Deux mois après cette tribune parue dans le quotidien Le Monde, trois acteurs du paysage musical s’expriment à nouveau dans le même média. Loïc Lachenal, directeur de l’Opéra de Rouen Normandie, et vice-président du syndicat professionnel Les Forces Musicales, Jean-Philippe Thiellay, président du Centre National de la Musique, et le chanteur lyrique Thomas Dolié font un nouveau point de situation, le premier dans un entretien, et les deux autres en prenant la plume dans les pages Débats. Et contre toute attente, leurs conclusions s’opposent drastiquement. 

Les trois personnalités s’accordent sur un point : la crise traversée par les maisons lyriques est structurelle, et non plus conjoncturelle. Elle résulte d’une équation économique impossible, puisqu’à l’opéra, les recettes des représentations ne permettent pas de couvrir les dépenses. Et pour Jean-Philippe Thiellay, les finances publiques doivent continuer de combler ce déficit, car « l’opéra rentable n’existe pas ». Même son de cloche du côté de Loïc Lachenal, qui rappelle qu’un rendez-vous en ce sens a eu lieu avec la ministre de la Culture Rima Abdul Malak en septembre dernier. Sans grand résultat, du moins jusqu’à ce que la locataire de la rue de Valois s’exprime au micro de France Inter, jeudi 9 février, assurant que l’État soutiendrait bien le secteur culturel. Depuis, « les choses ont commencé à bouger », affirme-t-il. 

Pourtant, Loïc Lachenal prévient que le pire reste à venir : « C’est surtout la saison prochaine que les opéras vont connaître une hécatombe – à bas bruit, puisque le public n’en sera pas informé : ce sont d’ores et déjà vingt-six productions d’opéras annulées, le gel d’une trentaine de postes de musiciens (l’équivalent d’un orchestre de chambre) et plus de cent vingt représentations déprogrammées, l’équivalent de la saison de deux structures. » Un constat appuyé par Jean-Philippe Thiellay, qui souligne qu’en l’espace de dix ans, le nombre de représentations lyriques a déjà baissé en France de près de 25 %.


Loïc Lachenal. © Marion Kerno

Pour contrer ce scénario catastrophe, Loïc Lachenal compte trois points essentiels : la volonté de répondre à une crise inscrite dans la durée, une coordination nationale mais également « déclinée territoire par territoire », et une cohérence entre les missions des opéras et les moyens qui leur sont alloués. Selon lui, ces réflexions sont essentielles à l’élaboration d’une programmation artistique qui remplisse les salles. « Faire un petit peu moins bien, un petit peu moins beau, un petit peu moins magique nous entraînerait dans une spirale artistiquement décliniste », insiste-t-il. Quant à Jean-Philippe Thiellay, il appelle les élus à ne pas fermer les yeux sur la situation et à ne pas considérer l’opéra comme « un spectacle ringard pour les riches-blancs-diplômés-de-centre-ville ». Pour éviter cette perception de l’opéra, il exhorte également les institutions lyriques à remettre en cause certains pratiques, « qui ne sont plus adaptées à notre temps ». Un élément qui rejoint, dans une certaine mesure, le point de vue de de Thomas Dolié. Mais le baryton va bien plus loin dans sa remise en question des maisons d’opéra, car selon lui, c’est en elle que réside la solution au problème.

Si l’État se doit de ne pas abandonner les opéras, Thomas Dolié déplore que le modèle économique adopté par les institutions lyriques soit aussi dépendant des subventions : « Quand la crise climatique réclame des investissements massifs, quand nos concitoyens comptent chaque euro pour se chauffer ou se nourrir, quand les services publics craquent, est-il raisonnable, osons le mot, est-il décent de réclamer toujours plus d’argent public pour l’opéra ? », s’interroge-t-il. Il pointe du doigt les énormes inégalités d’un système, dans lequel quelques stars « aux salaires vertigineux » côtoient une masse d’artistes et de techniciens vivant dans une grande précarité, et invite à repenser totalement un modèle économique « obsolète et inadapté aux défis actuels ».

Selon les chiffres avancés par le vice-président de Forces Musicales, 77 % des adhérents à son syndicat peinent à équilibrer leur budget, certains étant encore dans l’attente qu’il soit voté. Pourtant, les efforts des institutions lyriques ne manquent pas : écoconception des décors, mutualisation des ateliers, coproduction… deux tiers des maisons auraient mis en place des plans de sobriété permettant de générer des économies, souligne Loïc Lachenal. Thomas Dolié propose, quant à lui, des solutions qui vont plus loin : « imposer des contraintes de budget ou de soutenabilité pour les mises en scène, plafonner les plus hauts salaires, planifier des tournées dans des villes n’ayant pas d’opéra et rémunérer les artistes non permanents au mois et non au cachet, développer l’emploi permanent artistique et technique afin de jouer davantage à coût constant ». Des pistes qui, selon lui, font partie d’un large éventail de possibilités, et qui peuvent s’adapter aux contraintes des différentes structures.

Un « pacte lyrique et symphonique » doit voir le jour en juillet, mais la ministre de la Culture aurait promis des annonces « concrètes et durables » pour le mois de mars. Thomas Dolié souligne, de son côté, que, même si aucun d’entre eux n’a signé la tribune réclamant davantage de subventions – « que les auteurs n’y aient pas songé ou qu’ils aient refusé » –, les artistes « sont bien plus connectés à la société qu’on le pense et ont conscience des réalités de leur métier ». Une seule solution : « tout changer », pour ne pas « alimenter un modèle aussi imparfait ». Affaire à suivre, donc…

ROXANE BORDE

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