Théâtre du Capitole, 26 & 28 novembre
Cette nouvelle production de Don Giovanni affiche un classicisme devenu très rare à l’opéra, tant par son esthétique visuelle (élégants costumes d’époque signés Pierre-Jean Larroque dans la belle scénographie d’Éric Ruf) que par l’humilité face à l’œuvre de la metteuse en scène, Agnès Jaoui, et son respect scrupuleux des didascalies du livret. Cette lecture, littérale et assumant un certain statisme, mais en rien ennuyeuse, notamment grâce à l’attention au texte, est idéale pour qui découvrirait l’œuvre. Seuls éléments un peu surprenants, très post-#MeToo : le retour de toutes les victimes du libertin, validant sa damnation d’un index accusateur, et surtout la pirouette de sa réapparition lors du lieto fine (étrangement abrégé), au milieu des autres personnages célébrant son châtiment. Une idée – éternel retour du prédateur – en fait déjà proposée sur la même scène en 2005 (puis 2007 et 2013) par Brigitte Jaques-Wajeman.
Remplaçant Tarmo Peltokoski souffrant, le jeune chef italien Riccardo Bisatti (25 ans), qui s’était fait remarquer dès 2022 dans ce même ouvrage, se montre très énergique mais d’un style mozartien étonnamment traditionnel, et avec trop peu de nuances. Il manque en outre de savoir-faire pour prévenir ou rattraper les décalages fosse-plateau, particulièrement nombreux le 28.
Sur les neuf dates, à guichets fermés, alternaient deux distributions, avec nombre de prises de rôle. Force est de constater que le spectacle fonctionne beaucoup mieux avec le deuxième cast, moins prestigieux, vu par nous le premier soir, essentiellement grâce à un couple maître-valet très supérieur. Après Masetto et Leporello, Mikhail Timoshenko aborde Don Giovanni avec un timbre parfait, aussi convaincant dans le charme et la sensualité (superbe sérénade) que dans l’autorité. La relation avec Kamil Ben Hsaïn Lachiri, entre complicité et emprise, est très convaincante, le jeune baryton belge réussissant, malgré un déficit de puissance et de grave, à composer un Leporello aussi attachant que drôle, excellent comédien dont toutes les répliques clés font mouche.
Son confrère Vincenzo Taormina, voix éclatante (sauf dans le grave) et grand métier buffo, paraît beaucoup plus conventionnel, associé il est vrai à Nicolas Courjal, dont le premier Don Giovanni laisse perplexe. Il est certes intéressant d’y entendre une vraie basse, et la tessiture (air « du champagne » inclus) ne lui pose aucun problème – dommage quand même de tant abuser de la mezza voce détimbrée ! Mais qu’est-ce que ce « dissoluto » constamment rigolard, sans la moindre profondeur dramatique ou métaphysique ?
Préférable aussi est le couple de paysans formé par Timothée Varon et Francesca Pusceddu : lui, Masetto de luxe – il chante en ce moment le rôle-titre dans la tournée de l’Arcal – par son baryton mordant, elle Zerlina fine mouche au soprano ductile. En comparaison, Anaïs Constans, bien chantante, quoique sans grande personnalité, est peu expressive et surtout assez maladroite en scène. À ses côtés, la basse de bronze d’Adrien Mathonat paraît presque surdimensionnée, alors que sa couleur d’outre-tombe fait merveille pour le Commandeur, qu’il chante un soir sur deux (quelle santé !). L’autre titulaire, le Géorgien Sulkhan Jaiani, est tout à fait efficace mais moins marquant.

Pour les autres rôles, le jeu est assez égal entre les deux équipes. L’Elvira de Karine Deshayes confirme sa souveraineté technique (vocalises parfaites, magnifiques la aigus piano du trio « du balcon »…), mais celle d’Alix Le Saux, en prise de rôle, l’emporte pour l’engagement dramatique, sa voix plus sombre lui conférant une dimension plus ombrageuse – au prix il est vrai d’un peu de fatigue, notamment à la fin de « Mi tradi ». Andreea Soare apporte à sa première et très noble Anna – après tant d’Elvira – sa voix riche et ample. Si « Non mi dir » est parfaitement maîtrisé, « Or sai chi l’onore » l’éprouve davantage, avec certains aigus un peu hauts et un rien agressifs. Non moins passionnée est l’Anna de Marianne Croux (qui la chante aussi pour l’Arcal), voix moins ronde mais superbement projetée, et sans doute plus à l’aise sur l’ensemble du rôle. Elle doit cependant veiller à ce que le vibrato reste bien contenu. Enfin, les deux Ottavio, aux voix corsées, sont sans mièvrerie aucune, et tous deux meilleurs dans « Dalla sua pace » que dans « Il mio tesoro » : le Français Valentin Thill respire souvent dans ses longues vocalises, quand le Germano-Turkmène Dovlet Nurgeldiyev les savonne franchement.
THIERRY GUYENNE
Mikhail Timoshenko/Nicolas Courjal (Don Giovanni)
Adrien Mathonat/Sulkhan Jaiani (Il Commendatore)
Marianne Croux/Andreea Soare (Donna Anna)
Valentin Thill/Dovlet Nurgeldiyev (Don Ottavio)
Alix Le Saux/Karine Deshayes (Donna Elvira)
Kamil Ben Hsaïn Lachiri/Vincenzo Taormina (Leporello)
Timothée Varon/Adrien Mathonat (Masetto)
Francesca Pusceddu/Anaïs Constans (Zerlina)
Riccardo Bisatti (dm)
Agnès Jaoui (ms)
Éric Ruf (d)
Pierre-Jean Larroque (c)
Bertrand Couderc (l)
Pierre Martin Oriol (v)
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