Théâtre du Châtelet, 10 décembre
Plus de cinquante ans après sa création théâtrale, assortie de trois films et d’une comédie musicale à Broadway, voici que La Cage aux folles revient – à Paris et en majesté – au Théâtre du Châtelet. Pour sa mise en scène, Olivier Py a assuré lui-même, et brillamment, la traduction du livret d’Harvey Fierstein. Un tel spectacle interroge cinq décennies d’histoire de France : tout y est. Le foyer formé par le couple d’Albin et Georges est confronté à l’hostilité d’une famille violemment conservatrice. Py interroge l’évolution de notre humour, ne lésinant ni sur les clins d’œil ni sur les blagues, des plus fines aux plus égrillardes. La Manif pour tous voisine ici avec un malade du Sida portant un t-shirt d’Act Up. Ce faisant, le spectacle rassemble, devient un hymne à la tolérance et à l’affirmation de soi, de sa fierté.
Le dispositif scénique est particulièrement impressionnant. Un décor central tournant offre sans cesse de nouveaux tableaux, s’appuyant sur de petits décors latéraux également sur tournette. Il en résulte un déluge visuel, particulièrement enthousiasmant, à grand renfort de rampes lumineuses, jusqu’à un arc-en-ciel (forcément) géant et coloré. On a rarement vu autant d’ampoules sur une scène ! Les trouvailles ne manquent pas, à l’instar du salon de Georges et Albin, orné d’études de nus bientôt remplacées par des images pieuses pour faire bonne apparence. Bien sûr, ce décor se décolle, symbole de nos hypocrisies.
Pour aborder ce spectacle, il faut d’abord oublier la performance de Michel Serrault, Zaza historique et hors norme. Dans ce même rôle, Laurent Lafitte fait preuve de moins d’exubérance mais de davantage de candeur. Jouant avec différents registres, les fesses rembourrées de chaque côté, arborant des robes somptueuses et ridicules, couvert de strass, paillettes, plumes et mousselines diverses, il tient parfaitement son rang. Lorsqu’il se promène en salle et apostrophe les spectateurs des premiers rangs, son charisme emporte l’adhésion. Le chanteur est moins convaincant, même s’il gagne en épaisseur au fur et à mesure du spectacle.
En véritable maître de cérémonie et également très sollicité pour le chant, Georges est incarné méticuleusement par Damien Bigourdan, chanteur plus assuré, capable de graves mélodieux, d’oser une voix de fausset lors d’une romance (« Et l’amour n’est pas mort ») ou encore de s’affirmer un rien martial dans un chant « de la biscotte » avec choristes en treillis. On saluera aussi Harold Simon pour sa voix claire et son excellente diction, dans le rôle plus convenu (ou moins fantasque) de leur fils, Jean-Michel. Belle prestation également de Lara Neumann, Jacqueline survoltée et joyeuse, aux aigus soyeux. Cagelles ou Tropéziens : tous les danseurs et choristes sont excellents, inventifs, enthousiastes. En phase, c’est peu dire, avec le plateau, l’orchestre Les Frivolités Parisiennes soutient allègrement cette jolie production.
Pourtant, quelque chose manque ici. Est-ce la rigidité des années Pompidou qui donnait à la pièce de 1973 un goût subversif ? Est-ce la caricature de la « folle » qui laisse désormais indifférent ? En 2025, l’homosexualité s’est banalisée. Il y a dans cette Cage qui revendique aussi une inspiration du côté du Lido ou des Folies Bergère la bonhomie d’un spectacle de fin d’année, légèrement neutralisé, sage sous son exubérance. Tout cela manque de piquant. Mais cette forme de banalisation est sans doute une bonne nouvelle.
JEAN-MARC PROUST
Laurent Lafitte (Albin/Zaza)
Damien Bigourdan (Georges)
Emeric Payet (Jacob)
Harold Simon (Jean-Michel)
Gilles Vajou (Edouard Dindon)
Émeline Bayart (Marie Dindon)
Lara Neumann (Jacqueline)
Maë-Lingh Nguyen (Anne)
Édouard Thiébaut (Francis)
Stéphane Petitjean (dm)
Olivier Py (ms)
Pierre-André Weitz (dc)
Bertrand Killy (l)
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