Teatro Costanzi, 27 novembre
Après cinquante ans d’absence, Lohengrin revient à l’Opéra de Rome pour inaugurer la saison 2025-2026. Une production placée sous le signe des débuts – à commencer par ceux de Damiano Michieletto dans Wagner.
Célébré sur les plus grandes scènes pour son inventivité, il semble ici en panne de vision. Dans un décor unique, sobre et épuré, magnifié par des lumières raffinées, son spectacle oscille entre lecture psychologique – Elsa hantée par la perte du frère, en proie à la culpabilité et à la folie – et dimension mystique, voire métaphysique – Lohengrin transfiguré sous une coulée d’argent au finale du I. À cela s’ajoute le réalisme cru du couple Ortrud-Telramund, culminant dans la sensualité brutale de leur duo au II.
Côté symboles, exit le cygne : le héros arrive en traînant un cercueil blanc, avatar du petit Gottfried, que l’on découvrira plus tard rempli de plumes… Véritable totem de cette fable déchue, un œuf monumental, d’abord noir, enfermé dans une couveuse chez le couple maléfique, puis argenté, trônant comme un tabernacle derrière les époux, allégorie de ce mystère qu’Elsa finira par briser. D’autres métaphores, plus ou moins obscures, gravitent autour du personnage muet porté ici au premier plan : le petit duc de Brabant. Annoncé dès le Prélude par les vêtements qu’Elsa découvre, horrifiée, au fond d’une baignoire, voici l’enfant d’abord sous l’emprise d’Ortrud au II, puis auréolé de grands cercles lumineux, au début du III, avant de revenir, au dénouement, en champion de la paix rétablie.
Une stratification de symboles rendant, certes, justice à la polysémie du livret, mais au prix d’une lisibilité brouillée, et surtout d’une distanciation qui refroidit la poésie, même là où l’on devrait toucher au sublime – comme ce chœur nuptial relégué en coulisses, tandis que sur le plateau vide un Telramund halluciné menace l’enfant avant de se poignarder.
Le spectacle est néanmoins sauvé par une direction d’acteurs nerveuse et affûtée, conférant à chaque scène sa dose de tension dramatique et offrant quelques images fortes – au I, Lohengrin arrachant Elsa à la tombe où elle est enterrée vivante.
Débuts wagnériens aussi dans la fosse. Michele Mariotti aborde la partition avec ferveur, sans céder à la tentation d’italianiser Lohengrin. C’est plutôt son affinité avec le « grand opéra » français qu’il souligne, par la variété des couleurs, la subtilité des nuances, la gradation des dynamiques, quitte à fragmenter l’architecture et ralentir les tempi. L’orchestre répond avec une souplesse exemplaire, entre gravité solennelle, abandon lyrique et transparences diaphanes. Même engagement du côté des chœurs, somptueux de justesse et d’homogénéité.
Mais les débuts les plus marquants sont ceux de Dmitry Korchak dans le rôle-titre. Sans posséder l’exacte couleur vocale de Lohengrin, le ténor russe irradie une lumière, une élégance, une pureté de chant qui bouleversent, alliées à un éclat, une vaillance, une projection qui n’ont rien à envier à des voix plus lourdes. À mi-chemin entre héroïsme flamboyant et fragilité humaine, son chevalier apparaît comme une figure angélique, à la noblesse et à la compassion inviolables. Avec la fréquentation du rôle, il saura affiner une psychologie encore sommaire. Face à ce torrent de lumière, on aurait rêvé d’une Elsa en phase. Hélas, Jennifer Holloway n’a ni charme du timbre ni richesse des nuances, et son incarnation, certes vocalement solide et dramatiquement investie, peine à séduire.
Le reste de la distribution se distingue surtout par l’Ortrud d’Ekaterina Gubanova, manipulatrice sans outrance, d’un raffinement souverain jusque dans les imprécations, à l’opposé du Telramund fruste, souvent pénible à entendre de Tómas Tómasson. Et si le Héraut d’Andrei Bondarenko convainc par une articulation exemplaire, Clive Bayley déploie, en roi Heinrich, une autorité sereine et chaleureuse. De quoi satisfaire, malgré ces réserves, les wagnériens de la capitale italienne.
PAOLO PIRO
Clive Bayley (Heinrich der Vogler)
Dmitry Korchak (Lohengrin)
Jennifer Holloway (Elsa von Brabant)
Tómas Tómasson (Friedrich von Telramund)
Ekaterina Gubanova (Ortrud)
Andrei Bondarenko (Der Heerrufer des Königs)
Michele Mariotti (dm)
Damiano Michieletto (ms)
Paolo Fantin (d)
Carla Teti (c)
Alessandro Carletti (l)
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