Cultuurhuis de Warande, 20 novembre
Qu’il soit de « Dreigroschen » ou de « quat’sous », l’opéra de Kurt Weill et Bertolt Brecht reste délicat à réaliser. Théâtre et musique s’y disputent la priorité, et pour les unifier, il faut des comédiens sachant chanter ou des chanteurs bons comédiens. Avec cette nouvelle production, Opera Zuid semble avoir résolu la quadrature du cercle. Sans doute faut-il en créditer le metteur en scène, Servé Hermans, homme de théâtre qui a su libérer chez d’authentiques chanteurs lyriques la fibre théâtrale. Ils forment tous ensemble une galerie de personnages remarquablement croqués, où la qualité du chant s’allie à une caractérisation très approfondie et un engagement de tous les instants. Seul peut-être dans cette configuration le Macheath de l’acteur Maarten Heijmans appelle-t-il quelque réserve. Souvent en retrait dans ses quelques « songs » qui ne sont pas parmi les plus faciles, il a tendance à cabotiner quelque peu, comme dans la scène de l’évasion où il joue une petite pantomime – en fredonnant le générique de Mission impossible – qui paraît un rien racoleuse.
La mise en scène, intemporelle, avec des costumes bariolés et cheap très contemporains, respecte les principes du théâtre épique et de sa nécessaire distanciation. Le dispositif scénique joue d’éléments disparates : un escalier ne menant nulle part, une baraque de bric et de broc pour la maison des Peachum et un petit cadre de scène pour certains numéros traités dans une esthétique de cabaret à quoi s’ajoute le recours à la chorégraphie, afin d’animer le plateau, particulièrement dans les finales et les ensembles. Le petit orchestre sur la scène, avec son instrumentation non conventionnelle, ne verse jamais dans le style du bastringue comme dans certaines adaptations qui tirent la musique de Weill du côté du cabaret.
Tout en respectant les influences populaires, la direction d’Enrico Delamboye reste d’un remarquable raffinement, faisant valoir la richesse de coloris de la partition et son climat si particulier, dans un parfait équilibre entre tous les styles qui s’y mêlent. Cette option « classique » met d’autant plus en valeur la crudité des textes et compense un peu ce que le spectateur non néerlandophone perd à devoir suivre les surtitres pendant les dialogues.
Du côté des chanteurs, tous mériteraient mention jusqu’au plus petit rôle. Citons la Polly âpre de Maartje Rammeloo à qui est attribuée la chanson « de Jenny des Pirates », qui y fait merveille comme dans « Barbara Song », où elle donne la pleine mesure de son tempérament. En Lucy Brown, sa rivale, Nikki Treurniet n’est pas moins affirmée et leurs affrontements sont très jubilatoires. Le couple Peachum trouve dans la basse Huub Claessens et la mezzo Lien Haegeman deux interprètes truculents, tandis que le Tiger Brown de Marcel van Dieren montre une belle énergie dans le célèbre « Kanonen Song ». La bande des quatre acolytes de Macheath impressionne par son homogénéité dans l’épithalame du mariage, et le chœur se révèle également de tout premier plan.
Excellente, la maîtresse de cérémonie Kikki Géron, à qui revient la célèbre « Complainte de Mackie Messer » et qui conclut cet opéra des gueux sur sa morale un rien cynique devant les onze solistes assemblés en rang d’oignon, dos au public. Cette image met un point final à une production très aboutie d’une version absolument intégrale de l’opéra, qui se taille un succès sans partage auprès des spectateurs flamands.
ALFRED CARON
Maarten Heijmans (Macheath)
Maartje Rammeloo (Polly Peachum)
Huub Claessens (Jonathan Jeremiah Peachum)
Lien Haegeman (Celia Peachum)
Marcel van Dieren (Tiger Brown)
Nikki Treurniet (Lucy Brown)
Lucie van Ree (Jenny)
Kikki Géron (Ein Moritatensänger)
Enrico Delamboye (dm)
Servé Hermans (ms)
Amber Vandenhoeck (d)
Lobke Houkes (c)
Uri Rapaport (l)
Martin Michel (ch)
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