Opéras Dorian Gray à Poznań
Opéras

Dorian Gray à Poznań

03/12/2025
Michał Partyka et Rafał Żurek. © Poznań Opera House/Bartek Barczyk

Teatr Wielki, 23 novembre

Oscar Wilde a décrit, dans Le Portrait de Dorian Gray, l’angoisse qui naît face au vieillissement et à la beauté perdue, et l’illusion selon laquelle le temps pourrait s’arrêter. Inspirée par ce roman, Elżbieta Sikora a imaginé l’opéra Dorian Gray, qui vient d’être créé au Teatr Wielki de Poznań : Dorian Gray tout court et non pas Le Portrait de Dorian Gray, car l’intrigue de l’opéra se situe de nos jours, à l’époque de l’image sans fin démultipliée. Dorian est ici le modèle du photographe Basil, qui en fait le héros du réseau social Bric-à-brac. Sibyl, tombée virtuellement amoureuse de lui, croit pouvoir réellement l’approcher mais se fait repousser et meurt d’une surdose de drogue. Las de cette vie factice, Dorian s’engage dans l’humanitaire tout en étant poursuivi par James, le frère de Sibyl, qui veut venger la mémoire de sa sœur. À la fin, devenu clochard, Dorian réussira à quitter le monde des apparences.

À partir de ce scénario dramatique autant que dynamique, David Pountney, également auteur du livret (en anglais) de l’opéra, a conçu un spectacle débordant d’images en tout genre. Les projections qui envahissent aujourd’hui l’ordinaire des mises en scène trouvent ici leur légitimité, et c’est avec à-propos que le metteur en scène fait intervenir les chanteurs tantôt sur scène, tantôt à l’intérieur d’écrans géants de téléphones portables, stratagème qui les oblige alors à chanter en coulisse et à faire amplifier leur voix. Le tableau présentant Dorian dans son appartement de luxe est traité à la manière d’une brève parodie de Salome (dont le livret allemand est traduit d’Oscar Wilde, rappelons-le) où Dorian, devenu Herodes, qui se fait offrir un solo d’oud, demande à son double de danser devant lui – sachant que son autre moi, représenté par un enfant, est apparu sur une trottinette au tout début de l’opéra.

La musique d’Elżbieta Sikora est plus intemporelle que le spectacle, lequel, poussant les travers de notre époque au paroxysme, risque de subir rapidement l’usure du temps. La compositrice franco-polonaise, qui a travaillé aussi bien avec Pierre Schaeffer et François Bayle qu’avec Betsy Jolas, reste fidèle à sa manière, qu’on avait pu goûter en 2011 dans son opéra Madame Curie (voir O. M. n° 69 p. 45). Elle ne cherche pas à singer les musiques qui submergent les réseaux sociaux, ce qui donne sa tenue à l’opéra tout entier, qu’on ne peut ainsi réduire à une parodie de notre époque. On retrouve son souffle au long cours, son attrait pour les tenues des cordes qui soutiennent les rafales des vents et le déchaînement des percussions, dont elle fait un usage virtuose.

Superbement orchestrée, sa partition étouffe certaines des voix solistes, et on aimerait que les quelques solos (de flûte, de clarinette) qui viennent calmer le jeu soient un peu plus nombreux ; d’autant que la spatialisation des voix tend à saturer l’espace du théâtre, sans compter l’utilisation de bruits divers (dont l’explosion d’une bombe !) qui cernent l’auditeur et piègent quelquefois les chanteurs : le chœur invisible, qui commente l’action ou réagit à celle-ci, est lui-même une immense et terrifiante voix fantôme. Ce qui n’empêche pas une touche d’humour ici et là (le thème du Dies irae cité au moment de la mort de Basil), Jacek Kaspszyk dirigeant l’orchestre d’une main énergique.

Rafał Żurek (Dorian Gray) et Michał Partyka (Basil) souffrent plus que les autres du volume de la musique et des effets de sonorisation. Le premier, traité comme un jouet puis comme une victime, n’est pas le ténor séduisant qu’on attendrait d’un personnage idolâtré par les foules, mais il est vrai que sa beauté n’est qu’un artifice. Le second convainc davantage vocalement : Michał Partyka a le timbre ambigu et les accents cyniques d’un manipulateur, et s’oppose à la présence massive de Łukasz Konieczny (James), personnage tout d’une pièce dont la voix de basse incarne le besoin de réalité.

Elżbieta Sikora a confié à Sibyl un chant exalté, virtuose, que Joanna Freszel fait sien avec facilité. La mine à la fois épanouie et évaporée, elle est la blonde innocente victime de sa propre naïveté et de l’impitoyable système qui la dévore. Le contraste avec la voix de mezzo de Gosha Kowalinska est bien venu : La Grise est un personnage mystérieux, à la fois une âme errante, une conscience, une clocharde accrochée à son chariot ; c’est elle qui donne une humanité paradoxale à cet intense opéra des simulacres.

CHRISTIAN WASSELIN

Rafał Żurek (Dorian Gray)
Michał Partyka (Basil)
Joanna Freszel (Sibyl)
Łukasz Konieczny (James)
Gosha Kowalinska (La Grise)
Jacek Kaspszyk (dm)
David Pountney (ms)
Dorota Karolczak (dc)
Fabrice Kebour (l)
David Haneke (v)

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