Opéra, 21 novembre
Créée à la Salle Favart en juin 2021, la mise en scène de Pauline Bayle n’avait convaincu qu’en partie : son dépouillement radical, presque ascétique, avait alors laissé Katia Choquer perplexe (voir O. M. n° 174 p. 62). La reprise à l’Opéra Grand Avignon invite pourtant à reconsidérer l’entreprise sous un angle plus décisif. Renonçant à une scénographie convenue, la metteuse en scène instaure un rite scénique en deux mouvements, où les réjouissances terrestres basculent d’un coup dans la froideur minérale des Enfers. Sur un plateau nu, l’œil s’accroche à l’éclat saturé des costumes de Bernadette Villard, instruments de vitalité, parfois plus éloquents que les sourires extatiques des interprètes. Dans une euphorie presque pastorale, ceux-ci parsèment l’espace de fleurs rose fuchsia, cueillies une à une lorsque la mort d’Euridice est annoncée et que la lumière se retire.
Au cœur de ce dispositif, Mauro Borgioni, mentor vêtu de blanc, aimante la communauté par son sourire, ses gestes, et surtout par la noblesse de son timbre, magnifié dans des « Rosa del ciel » et « Possente spirto » d’une tenue exemplaire. Cet Orfeo, maître spirituel et clin d’œil à un orphisme antique teinté d’utopie hippie, rend d’autant plus vertigineuse la chute du guide désarmé par le deuil, happé par l’ombre avant de regagner la lumière céleste. Plus convaincant encore qu’en Ulisse au Festival Monteverdi de Crémone en juin dernier, le baryton italien subjugue par la souplesse avec laquelle il embrasse toute l’étendue expressive du rôle-titre : aigus solaires, graves profonds, puissance graduée – chaque note paraît pesée, revendiquée. Dans l’air adressé à Caronte, il conjugue caresse et invective, tandis que ses vocalises s’élancent avec une fluidité saisissante sur les notes égrenées par la harpe d’Andrew Lawrence-King.
En ouverture, Marie Théoleyre impose une Musica puis une Euridice d’une cohérence admirable : timbre rond, articulation nette, ornementation sobre et touchante. Salvo Vitale incarne un Caronte et un Plutone à la noirceur ample, au phrasé rigoureux. Anna Reinhold (Speranza et Proserpina) s’impose par son autorité scénique, tout comme la Messaggiera superbement douloureuse de Floriane Hasler. Les rôles secondaires s’inscrivent avec la même justesse, chacun révélant la nature propre de sa voix. Furio Zanasi prête à Apollo une sonorité burinée, vibrato marqué mais toujours noble.
À la tête du Concert des Nations et du Chœur de l’Opéra Grand Avignon, Jordi Savall dirige avec une autorité sereine une partition qu’il possède jusqu’au détail. La Toccata, lancée avec panache, tient aussitôt parole. Sa battue énergique et souple fouille les replis de la musique avec une poésie tenace, offrant une interprétation à la fois sculptée et charnelle.
CYRIL MAZIN
Marie Théoleyre (La Musica, Euridice)
Mauro Borgioni (Orfeo)
Floriane Hasler (Messaggiera)
Anna Reinhold (Speranza, Proserpina)
Salvo Vitale (Caronte, Plutone)
Julien Desplantes (Eco)
Furio Zanasi (Apollo)
Jordi Savall (dm)
Pauline Bayle (ms)
Emmanuel Clolus (d)
Pascal Noël (l)
Bernadette Villard (c)