3 CD + 1 DVD Château de Versailles Spectacles CVS 159

S’il existe un opéra qui incarne à lui seul le bel canto baroque, c’est bien le Polifemo de Nicola Porpora. À Londres, en 1735, le Napolitain, engagé par l’Opera of the Nobility pour rivaliser avec la troupe de Haendel, livra une partition conçue pour affronter Alcina. Polifemo réunissait une distribution de rêve : Farinelli, Senesino, la Cuzzoni et la basse Montagnana, tandis que Haendel leur opposait Carestini, Anna Maria Strada et Cecilia Young.

Le savant mélange de burlesque et de tragique, incarné par deux couples – les malicieux Ulisse et Calipso, les tendres Aci et Galatea – menacés par le cyclope Polifemo, semblait écrit sur mesure pour ces géants du chant. L’émulation entre Porpora et Haendel transparaît d’ailleurs dans des airs tels que « Nell’attendere il mio bene » (II, 5) d’Aci, avec cors obligés, qui répond au célèbre « Sta nell’Ircana » (III, 3) d’Alcina destiné à Ruggiero. Le fameux « Alto Giove » répond quant à lui au non moins iconique « Verdi prati ».

La présente parution du Château de Versailles inclut un DVD permettant de savourer le spectacle, tout en plumes et cothurnes, imaginé par Justin Way et Christian Lacroix. L’humour scénique y croise le fer avec la virtuosité vocale. Galatea, devenue une Marie-Antoinette minaudière, trouve en Julia Lezhneva une interprète idéale : la chanteuse se glisse avec gourmandise dans sa robe couleur d’eau. On pourra discuter l’acidité de certaines attaques, mais la colorature russe invente des cadences d’une fantaisie débridée (« Se al campo e al rio »). Moins pourvue en arias, la Calipso d’Éléonore Pancrazi n’en marque pas moins les esprits, transformant le da capo de son air de sortie, « Il gioir qualor s’aspetta », en un numéro de music-hall qui déclenche l’hilarité de la salle – et du chef, le très dynamique Stefan Plewniak. Côté « castrat-like », Franco Fagioli éblouit toujours : il semble se confondre avec ce que dut être Farinelli, doté de cette faculté à faire jaillir, dans un même souffle, des aigus incisifs et des graves profonds. Paul-Antoine Bénos-Djian, au timbre chaleureux, déploie des portamenti d’une éloquence rare. José Coca Loza, vêtu en géant poilu, campe un Polifemo d’une gravité touchante.

Le dense Orchestre de l’Opéra Royal, l’Académie de danse baroque et ses six élégants danseurs – rompus aux minauderies chorégraphiées par Pierre-François Dollé – livrent une vision éclatante de ce chef-d’œuvre de Porpora. L’ensemble rivalise sans peine avec le Polifemo donné au Bayreuth Baroque Festival, dirigé par George Petrou, où brillaient Yuriy Minenko et Max Emanuel Cenčić (Parnassus Arts Productions, 2023). Sans oublier, toujours vive dans notre mémoire de spectateur, la brillantissime direction d’Emmanuelle Haïm lors des productions de Strasbourg et Lille (2024) avec, déjà, Fagioli et Bénos-Djian.

VINCENT BOREL

José Coca Loza (Polifemo) – Franco Fagioli (Aci) – Julia Lezhneva (Galatea) – Paul-Antoine Bénos-Djian (Ulisse) – Éléonore Pancrazi (Calipso) 

Orchestre de l’Opéra Royal, dir Stefan Plewniak

3 CD + 1 DVD Château de Versailles Spectacles CVS 159

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