Teatro Costanzi, 1er novembre
Toute représentation de Tosca à Rome évoque, plus ou moins directement, sa création in loco, au Teatro Costanzi, le 14 janvier 1900. Cette production du Teatro dell’Opera lui rend un hommage explicite. Inaugurée en 2015 et régulièrement reprise depuis, la voilà remise à l’honneur dans une soirée unique, pensée comme un gala de préouverture de saison retransmis en direct par les télévisions du monde entier. Alors que les répétitions de Lohengrin, premier titre de la saison à venir, battent leur plein, cette « Tosca originelle » se pare des décors et costumes tels que Puccini les voyait lui-même le soir de la création, conçus par Adolf Hohenstein, figure emblématique du Liberty italien. Une vitrine rare pour le laboratoire de scénographie de l’Opéra de Rome, qui les a reconstitués à l’identique, selon les dessin d’origine, perpétuant les techniques artisanales des peintres-décorateurs de l’époque.
Ce qui, ailleurs, pourrait passer pour une curiosité muséale, prend ici tout son sens. D’autant que cette scénographie picturale ne fut utilisée que pour la toute première série de représentations, avant d’être remplacée dès 1902. Le charme d’aquarelle de ces décors épouse à merveille l’atmosphère impressionniste de certaines pages, notamment le lever du jour sur la terrasse du château Saint-Ange, au III. Certes, la direction d’acteurs d’Alessandro Talevi, scrupuleusement fidèle aux didascalies du livret, a pu perdre en précision au fil des reprises – comme au II, lorsque Cavaradossi se jette sur Scarpia trop tôt pour que les sbires n’interviennent. Mais dans l’ensemble, la mise en scène, débarrassée de tout artifice, ne manque pas de nous rappeler quel sens aigu du théâtre Puccini et ses librettistes ont déployé pour adapter le drame de Sardou. Une mécanique réglée au millimètre, qui impose un défi supplémentaire aux interprètes, appelés à enflammer la scène par leur puissance dramatique.
Dans le rôle-titre, Eleonora Buratto semble encore en quête d’une telle incandescence. Si le jeu scénique est en deçà d’un engagement viscéral, ses qualités belcantistes – souplesse de l’émission, raffinement de la ligne, volupté du phrasé –, si séduisantes dans les épanchements lyriques du I et dans le duo du III, peinent à assumer une vraie charge émotionnelle au II, où la partition demande une tragédienne capable de sortir ses griffes. Jonathan Tetelman, quant à lui, impose sa prestance scénique et son ardeur vocale sans négliger la finesse des nuances, entre les demi-teintes de « Recondita armonia » et la sensualité éperdue d’un « E lucevan le stelle » justement ovationné. Mais l’incarnation reste en surface, confirmant l’impression que ces deux vedettes, consacrées au disque par la récente intégrale Deutsche Grammophon, doivent encore insuffler une âme au couple protagoniste.
À l’inverse, Scarpia est comme une seconde peau pour Luca Salsi, qui incarne la noirceur du personnage avec une autorité à faire froid dans le dos. Diction sculptée, projection insolente, maîtrise souveraine du chant de conversation : nul besoin d’effets véristes pour faire trembler la salle. C’est lui le vrai triomphateur dans une distribution pour le reste inégale, avec le Spoletta poussif de Matteo Mezzaro, le Sacristain drôle mais à peine audible de Domenico Colaianni, l’Angelotti sombre et subtil de Gabriele Sagona, et le berger très pur de Maria Nardone.
Si les chœurs maison brillent par leur éclat dans le finale du I, l’orchestre se voit bousculé dans ses certitudes par la baguette inspirée, jamais routinière, d’Antonino Fogliani, appelé in extremis à remplacer Daniel Oren. Sa direction vive, organique, fluide, exalte la tension dramatique sans emphase ni alanguissement. Les tempi sont naturels, les couleurs séduisent, la mélodie respire, et l’architecture musicale est servie avec un sens du théâtre palpable à chaque instant. De quoi raviver avec panache le meilleur de la tradition.
PAOLO PIRO
Eleonora Buratto (Floria Tosca)
Jonathan Tetelman (Mario Cavaradossi)
Luca Salsi (Il Barone Scarpia)
Gabriele Sagona (Cesare Angelotti)
Domenico Colaianni (Il Sagrestano)
Matteo Mezzaro (Spoletta)
Daniele Massimi (Sciarrone)
Alessandro Guerzoni (Un carceriere)
Maria Nardone (Un pastore)
Antonino Fogliani (dm)
Alessandro Talevi (ms)
Adolf Hohenstein, Carlo Savi (s)
Adolf Hohenstein, Anna Biagiotti (c)
Vinicio Cheli (l)
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