Palau de les Arts « Reina Sofia », 9 novembre
La difficulté du choix politique et la mécanique du conflit d’intérêt appartiennent à toutes les époques, constat qui a poussé Àlex Rigola à choisir d’adapter une pièce d’Ibsen datée de 1882, Un ennemi du peuple, pour rédiger le livret du nouvel opéra de Francisco Coll (né en 1985) qui vient d’être créé au Palau de les Arts de Valence. Un ouvrage qui fait suite à l’opéra de chambre Café Kafka, représenté en 2014 sur plusieurs scènes d’Angleterre.
L’intrigue d’Enemigo del pueblo met en scène un scientifique, sobrement nommé le Docteur, qui se rend compte que les eaux d’une station thermale sont polluées. Que faire ? Cacher la réalité pour ménager les intérêts à court terme de la collectivité, car la prospérité de la ville dépend de la station thermale ? Ou reconnaître au contraire la vérité, rompre le contrat social et devenir, sous la pression des édiles corrompus et des citoyens manipulés, un ennemi du peuple ? Les esprits, comme les eaux, sont ici peu à peu contaminés. Oui mais, comme le dit le Docteur, « la raison sans pouvoir est inutile, le pouvoir sans raison est dangereux ». Sur cette trame, Àlex Rigola et Francisco Coll ont imaginé un opéra en deux actes : le premier expose le dilemme, sachant que le Docteur et le Maire (en espagnol « Alcalde ») de la station thermale sont deux frères et affichent des positions différentes, le Docteur plaidant pour la vérité, le Maire choisissant de la dissimuler ; le second met en scène le procès du Docteur qui se retrouve seul, à la fin, avec le soutien désespéré de sa fille Petra. L’opéra s’achève sur le mot « amar » (amour), dans une espèce d’acte de foi assez vague en l’humanité qui nous laisse un peu sur notre faim
Francisco Coll fait chanter cinq personnages à la tessiture bien caractérisée : José Antonio López (le Docteur), belle voix de basse tourmentée, est l’archétype du père noble acculé au rôle de bouc émissaire. Moisés Marin, le Maire, c’est-à-dire ici l’opportuniste, fait évidemment contraste : ténor aigrelet à la couleur volontiers agressive, il donne l’impression, bien sûr volontaire, de s’asphyxier dans les aigus. Brenda Rae joue avec sensibilité Petra, à qui le compositeur a confié quelques souvenirs de bel canto mettant en lumière la souplesse de sa voix. Plus effacés sont Marta Fontanals-Simmons, à qui revient le rôle épisodique de Marta, qui devient modératrice lors du procès, et le baryton Isaac Galán, qui joue Mario (le directeur du journal La Voix du peuple), plus ou moins épris de Petra.
Francisco Coll leur a confié à tous un récitatif tendu, ponctué de quelques pages lyriques et de quelques ensembles (le duo entre le Docteur et le Maire, l’air de Petra au premier acte sur le thème « l’amour est vie, plaisir et douleur », le duo final entre Petra et le Docteur), auquel le chœur apporte sa participation unanime lors du procès. L’orchestre est dirigé par le compositeur, qui signe une musique assez syncrétique : tout commence par un grand charivari instrumental, d’où émergent peu à peu des rythmes hispanisants presque caricaturaux, avec castagnettes et déhanchements suggestifs, que l’on retrouvera plusieurs fois au cours de la partition. Chargée, brutale, l’écriture orchestrale favorise les instruments graves (trombones, contrebasson) et surtout les percussions, qui s’en donnent à cœur joie.
L’ensemble est efficace à défaut d’enchanter, mais le spectacle tient aussi sa cohérence de la mise en scène, Àlex Rigola n’ayant pas voulu montrer autre chose que ce que dit son propre livret : la dune au premier plan, la mer au fond, et tout en haut le ciel, changent de couleur et de lumière en fonction des humeurs et des péripéties. Les cinq personnages évoluent avec réalisme dans une démarche on ne peut plus illustrative, entourés de quelques figurants qui ajoutent au réalisme, l’un seulement, imperméable et chapeau, jouant un rôle énigmatique : la conscience douloureuse du Docteur ?
CHRISTIAN WASSELIN
José Antonio López (Doctor)
Moisés Marín (Alcade)
Brenda Rae (Petra)
Isaac Galán (Mario)
Marta Fontanals-Simmons (Marta)
Francisco Coll (dm)
Àlex Rigola (ms)
Patrizia Albizu (dc)
Carlos Marquerie (l)
Álvaro Luna (v)
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