Opéras Il trittico à Houston
Opéras

Il trittico à Houston

12/11/2025
Arturo Chacón Cruz et Corinne Winters dans Gianni Schicchi. © Lynn Lane

Grand Opera, 2 novembre

C’est un coup d’éclat pour Corinne Winters : la soprano américaine fait des débuts triomphaux au Houston Grand Opera, qui présentait pour la première fois les trois volets du Trittico de Puccini réunis dans leur intégralité. La mise en scène de James Robinson, reprise en partie de son travail new-yorkais de 2002, séduit par son intelligence dramaturgique et ses contrastes visuels saisissants. Sous le pont d’Il tabarro, tout reste sombre et moite, reflet du désespoir des personnages. Suor Angelica se déroule dans un hôpital pour enfants d’après-guerre, immaculé et oppressant : l’héroïne y brise une vitrine pour atteindre le poison qui mettra fin à sa vie. Enfin, Gianni Schicchi explose de couleurs : la famille Donati, engoncée dans ses travers modernes – cigarettes, télévision, cupidité – contraste avec une Florence de carte postale aux accents pop des années 1960.

À la tête de l’orchestre, Patrick Summers, directeur musical sortant, dirige avec rigueur et sens de l’équilibre. Seule réserve : sa décision d’interrompre le flux dramatique de Suor Angelica, non seulement après le bouleversant « Senza mamma » de Winters, mais aussi après son aigu final sur « Lodiam » et la péroraison glaciale de la tante, incarnée par Jamie Barton. Corinne Winters, familière du répertoire puccinien, s’impose ici par son intensité dramatique. En Giorgetta, Angelica et Lauretta, elle fait naître trois femmes totalement distinctes, aux gestes, aux voix, aux respirations singulières. Dans le premier volet, elle ose le contre-ut sur « Nostalgia » souvent évité dans le duo avec Luigi, déploie un registre de poitrine somptueux puis fait de son Angelica une figure de fierté blessée. En Lauretta mutine et lumineuse, elle séduit par un naturel désarmant. Peu de chanteuses manient aujourd’hui le verismo avec une telle justesse, alliant tension dramatique et raffinement musical. Le public, conquis, lui réserve une ovation.

Ryan McKinny, familier de la scène houstonienne, campe un Michele nerveux et tourmenté, puis un Schicchi jubilatoire. Sa voix ferme et claire évoque celle de Thomas Stewart : solide, expressive, un rien moins italienne que le rôle ne le voudrait. Jamie Barton, autre favorite du public, incarne tour à tour la Frugola, la Zia Principessa et Zita. Un début de soirée un peu retenu, mais une suite magistrale : tante glaciale, autoritaire, puis comique irrésistible, jusqu’à « tuer » Buoso avec un oreiller. Arturo Chacón Cruz, en Luigi et Rinuccio, perpétue la tradition inaugurée en 1918 par Giulio Crimi. Timbre solide plus que mémorable, mais aigus éclatants et présence scénique affirmée. Moins incarné dans Il tabarro, il gagne en charme dans Schicchi, face à la Lauretta espiègle de Winters, stylisée en Ariana Grande. Parmi les seconds rôles, Andrea Silvestrelli impressionne par son autorité vocale et sa diction exemplaire, mieux employée en Talpa qu’en Simone. Meryl Dominguez illumine Suor Genovieffa et Nella d’un timbre radieux ; Matthew DiBattista, énergique, anime Il Tinca et Gherardo ; Emily Treigle, au timbre singulier, marque Suora Zelatrice et La Ciesca ; Sam Dhobhany (le notaire) impose une basse généreuse.

Chœurs impeccables, orchestre discipliné : l’ensemble rend pleinement justice à la richesse de cette trilogie. Ce Trittico complet rappelle combien Puccini, à la fin de sa vie, avait su condenser la condition humaine en trois miroirs : le drame social, la ferveur mystique et la comédie féroce. Une soirée dense, somptueusement servie, dominée par la présence incandescente de Corinne Winters.

DAVID SHENGOLD

Pour aller plus loin dans la lecture

Opéras Cendrillon de Viardot à Sénart

Cendrillon de Viardot à Sénart

Opéras Pelléas et Mélisande à Genève

Pelléas et Mélisande à Genève

Opéras Das Rheingold à Cologne

Das Rheingold à Cologne