Opéras Das Rheingold à Cologne
Opéras

Das Rheingold à Cologne

09/11/2025
Emily Hindrichs, Tuomas Katajala, Miljenko Turk, Bettina Ranch, Mauro Peter, Jordan Shanahan, Lucas Singer et Christoph Seidl. © Matthias Jung

StaatenHaus, 26 octobre

Vingt-cinq ans après avoir produit le mémorable Ring de Robert Carsen (qui allait s’exporter à Venise, Shanghai, Barcelone et Madrid), l’Oper Köln se lance dans une nouvelle Tétralogie. Initialement prévue dans le bâtiment de l’Offenbachplatz, l’entreprise démarre finalement au StaatenHaus, extra muros temporaire mais devenu familier, la réouverture étant désormais fixée (espérée ?) pour septembre 2026. Metteur en scène chevronné mais peu connu hors du monde germanique, Paul-Georg Dittrich signe une lecture originale et d’une grande intelligence. Suffisamment atypique pour susciter quelques huées le soir de la première, elle s’écarte assurément parfois de la lettre du texte, mais en respecte globalement l’esprit, bénéficie de réels moyens techniques et financiers (changements de concepts, de décors et de costumes pour chacune des quatre scènes) et repose sur une direction d’acteurs extrêmement précise. Surtout, loin de jouer la carte de l’actualisation à tout crin ou de la provocation, Dittrich revendique et impose une forme de naïveté – retour au conte de fées, avec citations du célèbre ouvrage de Bruno Bettelheim à l’appui – et de poésie.

Pour lui, l’or, origine du monde, ce sont les enfants. Pas de représentation matérielle du précieux trésor dans la première scène, mais quatre chanteurs en bord de scène comme pour une version de concert qui observent (les Filles du Rhin) et soutiennent (Alberich) des enfants qui jouent leur rôle et feignent de chanter leur texte. L’or, un moment représenté par des pinceaux géants, apparaîtra sous la forme d’un grand nuage dessiné collectivement par les enfants. La deuxième scène a d’ailleurs une esthétique de livre d’enfants, avec des dieux presque sortis d’un village gaulois, dont Wotan qui pêche à la ligne assis sur un croissant de lune. Gentiment décalée et saupoudrée d’un humour discret, cette vision des dieux tels que peuvent les rêver des bambins séduit, même si on l’imagine mal tenir la rampe pendant les trois épisodes suivants. Opportunément, dès l’arrivée au Nibelheim, le réalisme a repris ses droits, avec un décor industriel, et des enfants esclaves qui forgent l’or ou figurent un très poétique dragon à la chinoise pour la première transformation d’Alberich. Réalisme encore, mais futuriste, à la dernière scène, avec des dieux tout de noir vêtus, retrouvant les enfants prisonniers d’un immense anneau devant de grands verticaux projetant images du monde d’aujourd’hui ou lumière – dorée cette fois, bien sûr. S’il a gardé lui aussi une âme d’enfant et une capacité d’émerveillement, le spectateur sortira ravi.

D’autant que, musicalement, on est également à la fête avec la direction ample et splendidement construite de Marc Albrecht. Dirigeant un Orchestre du Gürzenich des grands jours, disposé tout en largeur de plain-pied avec la salle – pas de fosse au StaatenHaus –, le chef se garde du piège de l’éparpillement des détails et réussit à conférer à sa sonorité une cohésion enthousiasmante. Les débuts en Wotan de Jordan Shanahan ne convainquent pas totalement : la voix, connue, reste élégante et bien timbrée, mais manque parfois d’ampleur et de projection – alors justement que le baryton hawaïen, de taille moyenne, peine par ailleurs à imposer son personnage. On est par contre ébloui par l’Alberich puissant et mordant, mais néanmoins empreint de subtilité, de son collègue autrichien Daniel Schmutzhard, et par le Loge éclatant et raffiné du ténor suisse Mauro Peter. Excellent aussi, le Mime de Martin Koch, tandis que les autres dieux (Miljenko Turk et Tuomas Katalaja) et les géants (Christoph Seidl et Lucas Singer) proposent des incarnations solides à défaut d’être inoubliables.

Loin des viragos caricaturales trop souvent proposées, Bettina Ranch incarne une Fricka empreinte de finesse et d’élégance, forte par ailleurs d’une voix qui porte remarquablement. Issues de la troupe de l’Opéra de Cologne, Emily Hindrichs campe une Freia qui tient son rang, là où Adriana Bastidas-Gamboa impose à son Erda un vibrato un peu large. Les Filles du Rhin (Giulia Montanari, Regina Richter et Johanna Thomsen) complètent avec soin un plateau globalement cohérent sans être exceptionnel.

NICOLAS BLANMONT

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