Opéra Berlioz/Le Corum, 3 octobre
Créé en plein air à Châteauvallon en juin 2024 (voir O. M. n° 205 p. 85 de septembre), ce diptyque Cavalleria/Pagliacci vient de faire escale au Corum de Montpellier. Peu de différences entre les deux, si ce n’est qu’à Toulon le décor unique était bien réel et apportait une touche de réalisme, alors qu’ici sa reconstitution fait un peu plus « théâtre ». Tout le travail de la metteuse en scène Silvia Paoli réside dans la recherche d’unité entre les deux partitions : lieu, de tristes arènes dégradées ; temps, du début à la tombée du jour ; action, les histoires de deux couples qui se terminent en fait divers.
Le concept est malin, le propos se tient et les idées mises en place pour faire ressortir la gémellité des œuvres sont pertinentes. Certains personnages font partie des deux récits – le séducteur Silvio que l’on aperçoit dans Cavalleria, la vieille sans abri qui vit sur ces gradins, retrouvée morte au début de Pagliacci, les dealers qui fournissent Santuzza, ou les habitants de cette zone périphérique réunis après la messe ou pour voir le spectacle – et fournissent le gros de cette communauté à la marge de la société. Paoli ne craint pas de moderniser sa lecture, ancrée dans une réalité dominée par la misère sociale, pour la rendre plus contemporaine et accessible. Santuzza est prête à accoucher, droguée, sans emploi, accrochée à un Turiddu alcoolique et volage, tandis que Nedda, foraine désœuvrée, trompe son ennui dans l’alcool et se réfugie dans les bras d’un cavaleur qui lui fait oublier la violence de son mari.
Largement occupée, la scène fonctionne comme une sorte d’agora sur laquelle tout se joue en direct, vie privée (celle des deux couples) et vie publique, Turiddu acceptant le rendez-vous fatal que lui impose Alfio, le mari trompé (Cavalleria), quand Canio se décide à obtenir le nom de l’amant de sa femme qu’elle lui livrera avant de mourir en pleine représentation. « La commedia è finita », lance alors Tonio aux spectateurs pour mieux mélanger fiction et réalité, dans une adresse qui brouille les pistes. Malheureusement, des longueurs affectent la dernière partie de la soirée, qu’une distribution inégale et une direction fluctuante ne parviennent pas à relever. Le spectacle dans le spectacle s’essouffle, Canio s’époumone et le chef ne sait plus comment diriger Leoncavallo. C’est d’autant plus regrettable que plusieurs éléments laissaient penser que l’entreprise pouvait donner satisfaction.
Préparés avec soin, les chœurs font grande impression, surtout dans le Regina coeli de Cavalleria, solidement chanté ; Marie-Andrée Bouchard-Lesieur se tire avec les honneurs du rôle de Santuzza, dont le profil vocal lui correspond et qu’elle parvient à incarner avec sincérité malgré le misérabilisme ambiant. Silvio trouve en Leon Kim un ardent interprète, tout comme celui de Nedda, défendu par Galina Cheplakova, une soprano au volume écrasant surtout face à un ténor épuisé par une double performance éprouvante (Azer Zada). Tomasz Kumięga donne le change en Alfio mais montre de graves limites en Tonio, et ce dès le prologue où les aigus sont délibérément absents, entouré par d’efficaces seconds rôles.
Hésitant sans cesse entre lyrisme et pompiérisme, la direction de Yoel Gamzou se perd en conjectures, ralentissant ici, accélérant là pour redorer le blason de ces partitions naturalistes, parfois galvaudées, sans parvenir à trouver l’équilibre et surtout l’unité d’un discours qui l’aurait mérité.
FRANÇOIS LESUEUR
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