Opéras Don Quichotte à Lausanne
Opéras

Don Quichotte à Lausanne

19/10/2025
Stéphanie d’Oustrac et Nicolas Courjal. © Carole Par/Opéra de Lausanne

Opéra, 7 octobre

Après le Guillaume Tell en demi-teinte qui a ouvert le mandat de Claude Cortese à la tête de l’Opéra de Lausanne (voir O. M. n° 208 p. 60 de décembre-janvier 2024-2025), Bruno Ravella est réinvité à procéder au lancement cette saison avec un Don Quichotte dont l’originalité confirme la singularité d’un metteur en scène sur lequel le prenant esthétisme de ses Werther, Stiffelio et Rosenkavalier avait plus qu’attiré l’attention. Le rideau semble pressé de se lever sur le dispositif de ce nouveau Don Quichotte. Délimité d’un fil de lumière, un plancher incliné aux lattes régulièrement lasurées par le jeu d’orgues, émergé du cosmos des ténèbres profondes du plateau : voici la planète Quichotte, en métaphore de l’île des rêves révélée à la fin de l’opéra. Au diapason de la très fiévreuse introduction de l’ouvrage, le héros de Massenet est déjà occupé à arracher comme une seconde peau la queue de pie qui semble le démanger, sous les regards inquiets de son compagnon. Voilà, relu pour Massenet par Henri Cain, et pour la scène lausannoise par Ravella, le « fou sublime » de Cervantès : pour l’heure un homme en pyjama (à peine harnaché d’un plastron noir). Bienvenue dans le cerveau à l’imagination foisonnante d’un homme qui n’a peut-être même jamais quitté sa chambre. Une chambre évidemment sans baudet ni jument bréhaigne.

Rien ici n’a de réalité. Surtout pas Dulcinée, « inaccessible étoile » que Ravella, à l’instar de Cervantès qui ne la faisait jamais apparaître, montre comme une apparition à tous les sens du terme : un pur fantasme descendu des cintres (sur un trapèze de lumière) avant d’être appelé à s’y dissoudre. Pas davantage non plus sa rivière de perles, objet de cette nouvelle « affaire du collier », judicieusement agrandie par la scénographie de Leslie Travers aux dimensions d’un fascinant tunnel d’étoiles changeantes et même filantes, ou réduite au statut d’auréole sur la tête du héros au moment hautement christique de la conversion des brigands. À l’Acte II, des phrases du roman, tombées elles aussi de haut, métamorphosent le plateau en verte prairie où l’Homme de la Mancha affronte un vrai géant dont l’envergure est indiquée par les seuls membres, démesurés. Au III, les brigands déchirent le décor d’un ciel constellé. L’acte V (après un IV de moindre inspiration) voit le retour du frac signer la fin d’une tempête sous le crâne bien solitaire du « chevalier à la longue figure ».

Armée de sa communicative énergie, Stéphanie d’Oustrac montre tout ce qu’exige le rôle de Dulcinée, même d’une interprète de son acabit. Forcée d’enfler son instrument sur certaines voyelles, ou de laisser la bride sur le cou à quelques aigus bien crânes, sa prestation ne va pas sans questionnement. Un questionnement qui n’épargne pas non plus le Quichotte également aussi investi qu’extraverti, désespérément généreux, de Nicolas Courjal. De ce couple improbable, elle comme lui offrent un portrait néanmoins crédible, de surcroît vraiment touchant lorsque la mise en scène parvient enfin à les réunir à l’acte IV. Le Sancho impeccable de Marc Barrard s’impose progressivement comme un personnage de première importance, que Lausanne enverra même saluer après Dulcinée. D’impeccables comprimari se singularise le Pedro d’Andrea Cueva Molnar.

Mis en valeur par une direction d’acteurs qui doit beaucoup à la chorégraphie au cordeau de Rebecca Howell, le chœur n’a rien de secondaire dans le Don Quichotte en rouge et noir de Ravella. Dès le début, avec des graves puissamment martelés en fosse, on devine que Laurent Campellone aura à cœur de convaincre ceux qui voient plus Massenet en coloriste subtil (la délicate fête dans le patio au IV, la diaphane introduction du V) qu’en mélodiste inspiré. Au-delà de ces arguties, il est indéniable que le chant du cygne du compositeur aura une fois encore inspiré ses metteurs en scène : après Laurent Pelly à Bruxelles, Mariame Clément à Bregenz, Damiano Michieletto à Paris, voici Bruno Ravella à Lausanne.

JEAN-LUC CLAIRET

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