Opéras Faust à Liège
Opéras

Faust à Liège

14/10/2025
Erwin Schrott, Nino Machaidze et John Osborn. © ORW-Liège/Jonathan Berger

Théâtre Royal, 20 septembre

Début de saison triomphal à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège avec un Faust assez fastueux. Assurément, Thaddeus Strassberger, qui signe aussi les décors et les lumières, a pleinement assumé le côté grand spectacle du « grand opéra » avec une débauche de décors, se déconstruisant et reconstruisant à l’envi en usant du trompe-l’œil et de vidéos, de magnifiques et surprenants costumes mêlant époques et styles (entre Antiquité, Moyen Âge et années 1950) et d’une foule de figurants et danseurs. Conçu comme un gigantesque memento mori, ce spectacle baroque multiplie les références picturales et architecturales (Studiolo d’Urbino, Adam et Ève de Cranach, Tempietto de Bramante, couvent des Capucins de Palerme), les symboles, notamment ésotériques, et les pistes de lecture.

Le résultat est parfois déconcertant, voire à la longue épuisant, mais nous change en tout cas agréablement de l’esthétique de la laideur si souvent présente. L’idée-force de sa lecture est que tous les personnages sont ambivalents, à commencer par Faust, qui oscille entre sa réalité de vieux savant desséché et son aspiration à retrouver non tant sa jeunesse que la fraîcheur de ses émotions de jeune homme, et qui trouve en Méphistophélès (ange déchu aux ailes arrachées, miraculeusement recouvrées au tableau final !) plus un double trouble qu’un simple tentateur, Marguerite étant à son tour à la fois victime et fatale tentatrice. 

À cette débauche visuelle répond une réalisation musicale grand ton, pour une partition presque intégrale. La direction puissamment théâtrale de Giampaolo Bisanti galvanise les forces orchestrales et chorales de l’Opéra Royal avec flamme et précision, dans un style cependant assez international. Il en est de même du plateau, adéquat vocalement, mais disparate côté style et langue. Ce n’est évidemment pas le cas pour les deux artistes habitués de la maison, qui savent ce que chanter français veut dire : la savoureuse Marthe de Julie Bailly, au beau mezzo, et l’excellent Wagner d’Ivan Thirion, qui aurait pu avantageusement tenir Valentin. Car pour le reste, Faust mis à part, le français est bien malmené.

Grand habitué du rôle, Erwin Schrott habite Méphistophélès de sa voix longue et brillante, et avec une présence physique (quel torse !) qui confine au – plaisant – cabotinage, bravache dans le « Veau d’or » et enjôleur dans l’ironique « Vous qui faites l’endormie ». On regrette d’autant plus que la pertinence de la caractérisation s’accompagne de tant de négligences phonétiques, alors même que la compréhension du texte est manifestement profonde. Elmina Hasan et Markus Werba comprennent aussi ce qu’ils chantent, avec des déformations assez ponctuelles chez elle, Siebel subtilement détaillé et superbe de silhouette comme de voix, plus gênantes chez lui, Valentin par ailleurs solide et efficace mais qui, clairement, choisit pour des raisons techniques la voyelle qui l’arrange.

Au contraire, Nino Machaidze semble avoir une idée très vague du français et de sa syntaxe. Pourtant, sa Marguerite presque toujours incompréhensible intéresse constamment et émeut par sa musicalité et sa voix magnifique, pulpeuse et à l’aigu facile, aussi à l’aise dans la virtuosité de l’« air des bijoux » que dans la périlleuse montée d’« Anges purs, anges radieux », d’une belle ampleur, parsemant l’« air de la chambre » (ici un terrible hospice pour filles-mères), « Il ne revient pas », de piani enchanteurs. 

Enfin, il faut louer le Faust suprêmement châtié de ligne comme de diction de John Osborn, voix claire et haut placée, pas très large mais superbement projetée – sauf à sa première scène, qu’il chante des coulisses alors que Faust vieillard est joué par un figurant –, et maître d’une palette infinie de couleurs et de nuances, filant un somptueux si pianississimo sur « Je t’aime », à la fin de la kermesse, et couronnant d’un ut percutant « Salut ! Demeure chaste et pure ».

Un spectacle que l’on aurait sans doute mieux goûté si l’on n’avait en fin de saison vu la superbe production, autrement idiomatique, de Lille et de la Salle Favart.

THIERRY GUYENNE

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