Palais Garnier, 3 octobre
Certes, cette production d’Ariodante, créée en 2023 (voir O. M. n° 193 p. 65 de juin) est un peu un catalogue récapitulatif des procédés carséniens, mais leur combinaison produit une parfaite lisibilité de l’intrigue, avec des personnages dessinés non sans complexité, le côté people pouvant s’oublier. Du bon Carsen donc, n’était l’impardonnable facilité de ce finale en pirouette désamorçante, archi éculé !
Mais si le spectacle trouve ici son vrai impact, on le doit largement à la direction musicale inspirée de Raphaël Pichon, succédant à celle, flasque et anesthésiée, de Harry Bicket. Avec son orchestre Pygmalion – et un chœur maison offrant une belle prestation –, le chef français réussit brillamment son premier opéra de Haendel, en même temps que ses débuts à l’Opéra National de Paris. Il couvre toute la palette des affects, servant les moments extrêmes sans caricature dans les tempi ni effets superflus (si ce n’est cet arrêt à la reprise de « Scherza infida »), mais excellant aussi dans les airs de demi-caractère, sans oublier les danses – par ailleurs chorégraphiées avec une grande pertinence dramaturgique.
Cette reprise bénéficie aussi d’un très beau plateau, largement renouvelé. Dans une tessiture qui lui sied à la perfection, l’Ariodante de Cecilia Molinari, mieux projeté que celui d’Emily D’Angelo il y a deux ans, est un bonheur absolu. Éloquente et belle actrice, la mezzo italienne rend avec évidence toutes les facettes du personnage, tour à tour rêveur ou exalté, vindicatif ou désespéré. Et quelle incroyable sprezzatura – sans exhibitionnisme – dans les interminables coloratures de « Con l’ali di costanza », et plus encore dans le soulagement jubilatoire de « Dopo notte », aux variations extravagantes, après les épreuves cristallisées en un « Scherza infida » (curieusement varié d’emblée) où la douleur se muait en stupeur, comme passant de l’autre côté du miroir !
La Ginevra de Jacquelyn Stucker n’est pas au même niveau, belle en scène mais floue d’italien et même de caractérisation – malgré des accents touchants dans « Il mio crudel martoro » –, jolie vocalisation et beau trille, mais projection modeste dans cette partie sans doute trop grave. La voix fine mais parfaitement placée de la sensible Dalinda de Sabine Devieilhe a beaucoup plus de présence, et on lui sait gré, à l’inverse de sa Cleopatra au TCE, de ne pas abuser de ses (ravissants) suraigus.
Luca Tittoto est un roi très humain, de belle pâte et d’excellents graves, et Rupert Charlesworth un Lurcanio très touchant dans son amour fraternel, à la vocalise intrépide. Enfin, seul rescapé de 2023 – avec l’efficace Odoardo d’Enrico Casari –, le Polinesso pervers cynique de Christophe Dumaux a gagné en subtilité, offrant, de sa voix longue (cadence insensée de deux octaves dans « Dover, giustizia »), mordante et aux coloratures crépitantes, un contrepoint idéal au rôle-titre.
THIERRY GUYENNE