Théâtre du Capitole, 26 septembre
Très attendue, l’ouverture de la saison 2025-2026 au Capitole de Toulouse est vouée à la double célébration de Thaïs de Massenet et de la prêtresse d’Aphrodite, Thaïs d’Alexandrie. L’événement s’accompagne de deux prises de rôle : Rachel Willis-Sørensen affronte la courtisane transfigurée par la grâce tandis que Tassis Christoyannis incarne Athanaël, jeune imprécateur austère que consume le désir charnel. Épris d’unité, Stefano Poda assume la mise en scène, les décors, les éclairages et la chorégraphie. S’il l’avait proposée au Teatro Regio de Turin en 2008, sa production 2025 se veut nouvelle par l’esprit, allégée, enrichie et, dit-il, « véritablement moderne ». Un symbole domine la scénographie, le labyrinthe lumineux tracé sur le plateau par lequel les personnages doivent trouver leur propre chemin. Les trajectoires se croisent sans se rejoindre, apothéose et damnation.
Comme toujours dans l’univers de Stefano Poda, noir et lumière alternent, hallebardiers, cadavres descendant des cintres, symbolisme d’un ballet intégralissime. Dans ce « ballet de la Tentation » ajouté en 1894 pour l’Opéra (que de longueurs…), seize danseurs, messieurs en longues robes noires, dames en collants chair. On s’interroge sur la signification des imposants costumes : Nicias ressemble au riche Yamadori de Madama Butterfly. Est-ce parce que les hétaïres qui l’entourent ont revêtu de fort dignes obis ? En fait de séductrices, Thaïs, Myrtale, Crobyle et la Charmeuse (qui devrait danser en lançant les fusées du suraigu) ont tout de dames patronnesses. L’Armée du Salut sans doute ?
Sous la direction parfois emportée d’Hervé Niquet, l’Orchestre National du Capitole délivre une prestation remarquable. Mis à part quelques décalages des cuivres dans la fête chez Nicias, de grandes beautés sont prodiguées. La « Méditation », accompagnée de harpes, le chœur invisible qui sert d’écrin à sa reprise appartiennent à la musique pure. Préparé par Gabriel Bourgoin, le Chœur de l’Opéra National du Capitole intervient avec sa riche palette de couleurs.
La distribution répond aux attentes d’un public captivé. Lorsque apparaît Rachel Willis-Sørensen, l’opulence de son médium laisse craindre un aigu véhément sur ses premières injonctions à Athanaël (« Rien n’est vrai que d’aimer »), mais le duo nostalgique avec Nicias (« Nous nous sommes aimés ») et dès l’acte II, l’« air du miroir » (sans miroir) révèlent un registre aigu infaillible et une excellente diction française. Le « duo de l’oasis » (acte III) et le tableau final de la mort (« Te souvient-il du lumineux voyage ? ») s’élèvent vers les sommets. On sait Tassis Christoyannis fervent serviteur de la prosodie française, grand mélodiste et, à ses heures, méditatif au Mont Athos. Familier des rôles complexes (Wozzeck, Falstaff, Golaud), il relève le défi d’Athanaël, de l’invective à la tendresse (le duo « Baigne d’eau ») puis au désespoir final. Pourquoi porte-t-il durant toute l’action une soutane noire ?
Jean-François Borras est un Nicias sonore et lyrique, à la diction parfaite. Frédéric Caton (Palémon) délivre dans une noble déclamation chantée piano le sage conseil de ne pas se mêler « des affaires du siècle ». Thaïs Raï-Westphal et Floriane Hasler recueillent tous les suffrages en Crobyle et Myrtale. Marie-Eve Munger, bien évidemment soprano coloratura (contre-ré) – et non pas mezzo comme l’indique le programme de salle – a toutes les qualités pour interpréter une remarquable Charmeuse. Encore vaudrait-il mieux que la direction d’acteurs ne la contraigne pas à chanter son air face contre terre. Svetlana Lifar possède le grave et la dignité de la vénérable Albine. Hazar Mürşitpınar, Hun Kim et Alfredo Poesina complètent efficacement un ensemble très applaudi.
Les nombreux spectateurs enthousiasmés par le lyrisme de Massenet ont-ils pu comprendre l’action ?
PATRICE HENRIOT
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