2 CD Palazzetto Bru Zane BZ 1061

Depuis une dizaine d’années, le Palazzetto Bru Zane a entrepris de réévaluer l’essentiel de la production lyrique de Camille Saint-Saëns, et cela nous a valu déjà quelques belles découvertes. Après Les Barbares, Phryné, La Princesse jaune et plusieurs autres titres ainsi revenus en plein jour, c’est au tour aujourd’hui de L’Ancêtre, dont la première, sur la scène de l’Opéra de Monte-Carlo, remonte au 24 février 1906. Avec des interprètes tels que Felia Litvinne, Geraldine Farrar, Charles Rousselière ou Maurice Renaud, le triomphe semblait alors assuré. Ce ne fut pas tout à fait le cas malgré quelques critiques favorables (dont celle de Gabriel Fauré, publiée dans Le Figaro). La reprise de ce drame lyrique cinq ans plus tard à l’Opéra-Comique, avec une distribution différente, devait confirmer ce semi-échec. En ce début de siècle, alors que l’on s’enthousiasmait pour Pelléas, Tosca ou Salome, L’Ancêtre, composé par un vétéran illustre, ne portait que trop bien son nom !

Qu’en est-il aujourd’hui ? Accompagnant cet enregistrement, la version de concert donnée à Monaco en octobre 2024 a été bien accueillie par plusieurs journalistes. Une écoute attentive nous amène pourtant à modérer l’emballement que suscite toute redécouverte, surtout lorsqu’elle porte la signature du compositeur de Samson et Dalila – œuvre créée, rappelons-le, en 1877. Certes, Camille Saint-Saëns demeure ici encore un musicien de toute première classe. L’élégance de son style, la perfection de son orchestration, le savant traitement qu’il réserve aux voix ne sauraient faire de doute. Mais ce travail fait, si l’on peut dire, sur mesure, ne pèche-t-il pas parfois par un apprêt trop guindé ? À ce drame implacable, il manque une vraie vie théâtrale, intense, brûlante, troublante, et la faute en revient pour une grande part au livret bien médiocre de Lucien Augé de Lassus, qui ne donne là qu’une image bien fade de la Corse et du poids de la vendetta qui déchire deux familles rivales. Dans un cadre voisin, la Cavalleria rusticana de Mascagni (créée à Rome en 1890, présentée à la Salle Favart dès 1892) se montre tellement plus excitante !

Pour ce premier enregistrement mondial d’un opéra bien oublié aujourd’hui, saluons la qualité indiscutable de l’interprétation dans son ensemble. Sous la direction experte de Kazuki Yamada, qui sait parfaitement mettre en valeur ce que cette œuvre porte en elle de meilleur, solistes et choristes en offrent la lecture la plus honnête qui soit. Hélène Carpentier et Gaëlle Arquez dessinent avec talent les portraits de deux sœurs rivales. Jennifer Holloway réussit à donner une certaine stature au personnage de Nunciata, l’ancêtre. Michael Arivony contribue à rendre attachant Raphaël, le bon ermite. Mathieu Lécroart est irréprochable dans le rôle, plus bref, de Bursica. Seul peut-être Julien Henric, confronté à un personnage central et néanmoins sans grande épaisseur dramatique, peut susciter quelques menues réserves. Mais la faute, une fois encore, n’en revient-elle pas à la construction même de ce drame lyrique qui, dès sa naissance, paraissait déjà vieux ?

PIERRE CADARS

Jennifer Holloway (Nunciata) – Gaëlle Arquez (Vanina) – Hélène Carpentier (Margarita ) – Julien Henric (Tébaldo) – Michael Arivony (Raphaël) – Matthieu Lécroart (Bursica) – Yui Yoshino (Une Femme)

The Philharmonic Chorus of Tokyo, Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, dir. Kazuki Yamada

2 CD Palazzetto Bru Zane BZ 1061

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