
1 CD Alpha Classics ALPHA 1157
La discographie de Sandrine Piau ne comprend pas encore de récital Schubert avec piano, même si elle a inscrit certains de ses Lieder aux programmes de ses albums, notamment dans son magnifique Voyage intime accompagné par David Kadouch (voir O. M. n° 190 p. 78 de mars 2023), où l’on trouvait déjà Erlkönig et trois des Mignon qui figurent au programme de ce « Quintette imaginaire ». Autant les Lieder orchestrés, fût-ce de la main d’un Berlioz, Liszt ou Britten, nous semblent au mieux des hommages pittoresques, autant ici les arrangements, dus à Jacques Gandard, sonnent, par les couleurs mêmes des cordes (superbe Quatuor Psophos), naturellement schubertiens, enveloppant chaque Lied d’un écrin aussi sensible qu’intelligent : l’introduction du « Heiss mich nicht reden » de Mignon rappelle de façon frappante la marche de Der Tod und das Mädchen, et dans Erlkönig, la deuxième intervention du Roi trouve un séduisant contre-chant à l’alto. L’oreille est constamment stimulée, comme si Schubert avait inventé le quintette avec voix : proposition « imaginaire » donc, mais fort séduisante.
Ce programme nettement mélancolique, voire grave, offre comme thème central la fameuse « Sehnsucht » romantique, si intraduisible (nostalgie, aspiration, vague à l’âme ?), et comme horizon le pressentiment de la mort, s’ouvrant par Der Jüngling und der Tod (Le Jeune homme et la mort, lied jumeau de Der Tod und das Mädchen – ce dernier fournissant aussi la matière d’un célèbre quatuor dont on entend ici l’Andante con moto) et se refermant sur le Wandrers Nachtlied goethéen, aux paroles si apaisées : « Attends seulement, toi aussi tu connaîtras bientôt le repos. » Un parcours très pensé, aux méandres incitant à l’introspection (le cœur en est le rare Viola – la violette – dont les treize minutes sont rendues avec une touchante sobriété), où la chevauchée fantastique d’Erlkönig, la rêverie érotique de Ganymed ou l’élan irrésistible du Musensohn – trois variations, de Goethe encore, sur le raptus – sont autant de chemins de traverse.
La voix a sans doute perdu un peu en facilité d’aigu, d’un éclat vif-argent aujourd’hui patiné, mais l’immense musicienne sait à merveille la fondre dans la texture même du quatuor – l’unité artistique est une des grandes qualités du disque –, et, avec une diction allemande remarquable de précision (quelques consonnes pourraient certes être plus percutantes) et d’éloquence, la rendre toujours porteuse de sens et d’émotion. Un disque profondément schubertien.
THIERRY GUYENNE
Quatuor Psophos
1 CD Alpha Classics ALPHA 1157