3 CD Deutsche Harmonia Mundi 19658812322
Créé à Berlin en 1746 sur un livret de Metastasio, Adriano in Siria illustre le raffinement et la maîtrise dramatique de Carl Heinrich Graun, figure centrale de l’opéra sous Frédéric II de Prusse. Ténor de formation, remarqué à Dresde avant d’être appelé à Berlin, il devient le principal compositeur de la cour royale, pour laquelle il écrira vingt-six opéras. À la croisée des derniers feux baroques et d’une sensibilité nouvelle, il conjugue l’héritage italien à une expression plus souple, plus intérieure, qui préfigure déjà les évolutions à venir. Le privé se mêle au politique et le politique s’immisce jusque dans l’intime, au cœur de cette œuvre centrée sur l’empereur Hadrien, conquérant de la Syrie. Il y retient Emirena, fille du roi vaincu, et s’éprend d’elle. Mais la jeune femme est déjà promise à un autre. Le couple, déchiré, tente de préserver son amour, pris en tenaille entre le nouvel occupant, décidé à les séparer, et le souverain déchu, bien résolu à faire de sa fille l’instrument de sa vengeance. S’il s’inscrit pleinement dans les codes de l’« opera seria » – arias da capo, conflits d’honneur, passions contrariées –, Graun en exalte la portée dramatique et y insuffle une acuité psychologique nouvelle.
L’écriture vocale, souple et élégante, s’appuie sur une palette orchestrale riche et nuancée : aux cordes et au continuo s’ajoutent flûtes, hautbois, cors et bassons, utilisés avec un goût très sûr de la couleur. Les flûtes accompagnent les élans élégiaques d’une lumière douce, les cors soutiennent les accents plus héroïques, tandis que le continuo, incisif, exalte le discours harmonique avec acuité.
Le rôle-titre, partagé entre raison d’État et sentiments amoureux, trouve un bel interprète en Valer Sabadus, dont le timbre touchant convient à la noblesse du personnage. Si la virtuosité exigée par « Barbaro, non comprendo » le conduit parfois aux limites de son registre, il se montre plus à son aise dans « La ragion gli affetti ascolta », qu’il orne avec tact. En Farnaspe, Bruno de Sá fait forte impression par la souplesse de son émission et l’intensité dramatique de son chant. Ses deux airs – « Ov’è il mio bene? » et « Se pur non moro al lato » – comptent parmi les moments les plus marquants de la partition. De même, le duetto « Passi da me, ben mio », chanté avec Roberta Mameli (Emirena), enchante par l’entrelacement subtil des deux lignes vocales. La soprano italienne se distingue également dans « Oh Dio, mancar mi sento », qu’elle aborde avec une retenue expressive louable.
L’autre voix féminine de la distribution, Keri Fuge (Sabina), fait valoir une belle maîtrise stylistique et une émission parfaitement calibrée, notamment dans « Numi, se giusti siete ». Federico Fiorio (Aquilio) s’acquitte honorablement de ses interventions, grâce à une ligne vocale bien tenue et des aigus solides (« Saggio guerriero antico »), tandis que David Tricou campe un Osroa dynamique, servi par une diction claire et une bonne projection (« Sprezza il furor del vento »).
Sous la direction sensible de Dorothee Oberlinger, l’Ensemble 1700 excelle dans l’accompagnement : phrasés souples, articulation précise, souci constant des contrastes et des affects. Chaque air bénéficie d’un soutien ajusté, contribuant au charme de l’ensemble. Capté en public lors des Musikfestspiele Potsdam Sanssouci (juin 2024), cet enregistrement live rend justice à une œuvre qui, sans remettre en cause les fondements du genre, révèle la personnalité affirmée d’un compositeur trop souvent laissé dans l’ombre.
CYRIL MAZIN
Valer Sabadus (Adriano) – Bruno de Sá (Farnaspe) – Roberta Mameli (Emirena) – Keri Fuge (Sabina) – David Tricou (Osroa) – Federico Fiorio (Aquilio)
Ensemble 1700, dir. Dorothee Oberlinger
3 CD Deutsche Harmonia Mundi 19658812322
