Opéras Pénélope à Munich
Opéras

Pénélope à Munich

07/08/2025
Brandon Jovanovich et Victoria Karkacheva. © Bernd Uhlig

Prinzregententheater, 29 juillet

Au cours du dernier quart de siècle, Pénélope de Gabriel Fauré n’a bénéficié que de cinq mises en scène différentes dans le monde : Chemnitz, Wexford, Strasbourg, Francfort, et aujourd’hui Munich. L’Allemagne en totalise trois, la France une seule : le « wagnérisme » de ce Fauré tardif – parent des Roi Arthus de Chausson, Fervaal de d’Indy ou Bérénice de Magnard – toucherait-il davantage le public outre-Rhin ? Au Prinzregententheater, la réponse semble positive : salle comble, silence attentif, aucun départ après l’entracte, quatre représentations à guichets fermés et une critique locale louangeuse. Ici, manifestement, résonne une affinité inattendue.

Que reproche-t-on donc chez nous à cet unique opéra d’un compositeur certes plus inspiré quand il s’agit de mélodies ou de musique de chambre ? Le manque de péripéties d’un livret qu’on pourrait résumer en trois lignes ? Mais l’action de Pénélope est-elle réellement moins statique que celle de Tristan und Isolde ? Dans les deux cas, des ouvrages qui incitent à passer dans une autre dimension temporelle, du fait avant tout d’un langage harmonique particulier, voire ensorcelant. Et puis, chez Fauré, d’autres influences encore, dont, certainement, la noblesse à l’antique d’un Gluck. Donc une ambiance qui n’a rien de ludique, mais la beauté d’un tel ouvrage reste indéniable.

En 2015, à Strasbourg (voir O. M. n° 112 p. 61 de décembre), Olivier Py et Pierre-André Weitz surchargeaient Pénélope de décors et de figurants, comme pour combler un vide, alors qu’à Munich, Andrea Breth et Raimund Orfeo Voigt prennent le parti exactement inverse : lenteur, dépouillement, incitation à l’écoute. Lors d’un Prologue muet, puis à l’acte II, la scène n’est meublée que de quelques moulages de statues grecques, entre lesquels on déambule lentement, en poussant au besoin son conjoint diminué (tantôt elle, tantôt lui) dans une chaise roulante. Et le reste du temps, un insensible glissement latéral de pièces toujours un peu différentes, habitées chaque fois par un autre groupe, domesticité, suivantes, prétendants, mais aussi plusieurs Pénélope et Ulysse (chacun des deux chanteurs a au moins un double mimé), jeu de cloisons individualisant des confrontations qui ne sont jamais celles qu’on attend. Une étrange mais efficace poésie scénique, qui procède par associations allusives, voire qui s’appuie sur des images d’une force lente parfois sidérante. Aucun sang ne coule à la fin, mais juste auparavant, la performance de l’acrobate Daniela Maier, qui décoche une unique flèche fatidique en bandant au ralenti son arc avec les pieds, en équilibre sur ses mains, en dit bien plus long qu’un massacre.

Si l’envoûtement n’est malheureusement que partiel, ce n’est pas faute d’intelligibilité scénique, mais bien auditive. Fauré allège en principe l’orchestre sous les voix, et pourtant on ne comprend presque rien. La Pénélope de Victoria Karkacheva cisèle une ligne de chant d’une noblesse uniformément cryptée, l’Ulysse de Brandon Jovanovich, en bonne forme vocale, soigne davantage une diction qui reste artificielle mais convainc un peu mieux, tout comme celle de l’Eumée raffiné de Thomas Mole, tellement juvénile qu’il a l’air d’être le fils d’Ulysse, mais de toute façon, comme rien dans cette mise en scène ne recherche le réalisme, ce n’est pas gênant. Et puis il y a l’Antinoüs exemplaire de Loïc Félix, souverain de présence, qui tranche sur tout le monde parce que là, enfin, on entend du chant français. Aujourd’hui, on n’imaginerait plus guère un opéra russe rare sans russophones à l’affiche, alors pourquoi, dans l’opéra français, a fortiori pour une production de festival, persister à sacrifier à ce point notre langue en engageant des interprètes qui la martyrisent ?

II est vrai que l’énorme orchestre déchaîné dès le Prélude par Susanna Mälkki n’aide pas non plus les voix à construire leurs phrases, voire les couvre souvent. Cette lecture symphonique souligne la modernité de l’écriture tardive de Fauré – Pénélope a été créée quatre ans après l’Elektra de Strauss et la même année que Le Sacre du printemps, et ici on l’entend bien –, mais déséquilibre les perspectives. Une démesure wagnérienne qui, cela dit, n’a sûrement pas déplu à Munich, voire a contribué au succès de cette création locale.

LAURENT BARTHEL

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