Nationaltheater,28 juin
La Fille du régiment n’est pas le chef-d’œuvre de Donizetti. Cela dit, lorsqu’elle est traitée avec la légèreté et le brio requis, elle devient un petit bijou. Certes, il faut avoir un peu plus que l’âge de raison pour avoir vécu les soirées sensationnelles de la Salle Favart en 1986, avec June Anderson et Alfredo Kraus, événement heureusement immortalisé in extremis par EMI. On y était, et le souvenir d’une représentation où tout semblait couler de source reste encore très vif, près de quarante ans plus tard. À défaut, la production de Laurent Pelly, souvent reprise de Londres à Vienne puis Paris, a aussi été prodigue en plaisirs de qualité. Pour cet « opéra-comique » qui connut une continuelle popularité au XIXe siècle, avant de resurgir à l’époque moderne, mais sous une seule condition, celle d’avoir deux voix d’exception à l’affiche, on dispose donc de solides points de repère. Or, cette production munichoise de Damiano Michieletto, inaugurée lors des dernières fêtes de fin d’année, apparaît tristement pâle en comparaison.
Un échec avant tout parce que l’Italien refuse de jouer le jeu de l’« opéra-comique », alors même qu’on donne la version originale française. Certes, en Bavière, on peut être tenté de traduire les dialogues en allemand, mais ici, c’est toute l’action parlée qui disparaît, au profit des longs monologues d’une Duchesse de Crakentorp imbue d’elle-même et délicieusement réactionnaire. Ces tirades allemandes, déclamées dans un style très « vieille peau aristocratique grincheuse », ne manquent pas d’humour au second degré, surtout dans la bouche d’une comédienne aussi brillante que Sunnyi Melles, mais elles morcellent excessivement l’action. Réduits à leurs seules parties chantées, Sulpice et la Marquise de Berkenfield n’ont plus aucune consistance, et même Tonio et Marie perdent en relief.
Idée décorative intéressante d’Agostino Cavalca : un plateau nu et blanc, au fond duquel s’étale une immense photographie de sous-bois. Lorsque Marie quitte le régiment qui l’a élevée, deux soldats descendent des cintres en rappel et découpent dans la toile un fragment central, souvenir que l’on installe, richement encadré, au mur du salon de la Marquise après l’entracte. Un clin d’œil visuel élégant, qui renforce la cohérence d’un spectacle stylisé mais un peu pauvre en renouvellement.
Cet hiver, Pretty Yende et le jeune Xabier Anduaga avaient fait sensation. Pour ces deux soirées festivalières, la relève est assurée par Serena Sáenz et Lawrence Brownlee. Ce dernier reste toujours aussi sûr dans l’aigu – les neuf contre-ut de « Ah ! Mes amis, quel jour de fête ! » ne lui posent aucun problème, voire quelques notes encore plus haut perchées – mais son timbre s’est durci. Sa partenaire, physiquement crédible, paraît plus fraîche, mais souffre d’une projection timide. Après l’entracte, la voix gagne en densité et la chanteuse en assurance, à moins que ce ne soit simplement l’effet d’un décor plus resserré, acoustiquement plus favorable. Cela dit, on reste loin de l’abattage et du panache des grandes titulaires historiques du rôle. Le Sulpice de Misha Kiria impose une présence physique impressionnante, avec sa stature massive et son haut bonnet de grenadier, mais on apprécierait un chant moins sommaire, et surtout plus intelligible. Mêmes réserves pour Dorothea Röschmann, incarcérée dans sa robe à paniers, dont l’interprétation monochrome peine à retenir l’attention.
On devine l’absence de répétition d’ensemble, faute de temps. Chacun s’appuie sur des acquis remontant à quelques mois, et les nouveaux venus sont sommés de faire preuve d’adaptation. Malheureusement, l’orchestre a perdu de sa vivacité, Stefano Montanari peinant à lui redonner de l’élan, tandis que la production elle-même se déglingue déjà techniquement. Des approximations qu’on serait prêt à tolérer lors d’une soirée de routine, mais pas en pleine période de festival.
LAURENT BARTHEL
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