Arena, 28 juin
Dans sa longue note d’intention, Stefano Poda dit n’avoir pas voulu faire de Nabucco un péplum où s’opposeraient deux peuples et deux religions dans une lutte manichéenne, mais en donner une vision postmoderne marquée par deux conceptions du monde : d’un côté la spiritualité incarnée par les Hébreux, et de l’autre un univers rationnel qui serait celui des Assyriens. Pourtant, sa vision essentiellement spectaculaire laisse bien peu de place à l’humain pour exister et ne fait que restituer le combat initial dans une esthétique entre science-fiction et bande dessinée.
Utilisant les gradins de l’Arène savamment éclairés, il installe en guise de décor deux grands fragments de sphères mobiles lumineuses – qui se réuniront in fine pour n’en former qu’une – et une gigantesque clepsydre dominée par le mot « Vanitas », dont descend un grand escalier qui se transforme régulièrement en une sorte de cascade de lumière, symbolisant l’orgueil qui mène l’humain à sa propre destruction. La lumière est l’élément principal de cette approche. Elle atteint des sommets dans un tableau paroxystique pour le chœur célébrant la royauté d’Abigaille et l’Assyrie triomphante – où se déploient la totalité de la figuration et du chœur habillée de LED –, très applaudi par un public visiblement bluffé. On frôle souvent un certain kitsch et le comble est atteint avec l’explosion qui concrétise la fulguration de Nabucco, qui déclenche de nombreux rires tandis qu’un nuage de fumée assez banal envahit le parterre.
Comme toujours chez le metteur en scène italien, chaque soliste est accompagné d’un groupe dont la gestuelle semble être le prolongement et les grandes chorégraphies rythmiques envahissent régulièrement le plateau. Cette débauche d’effets, de costumes, de jeux de laser et de danses sophistiquées finit par phagocyter la dimension musicale et les solistes ne parviennent qu’à de rares moments à occuper le centre de l’attention, leurs mouvements sur le plateau rendant leur présence vocale parfois assez aléatoire.
Dans le rôle-titre, le Coréen Youngjun Park ne démérite pas mais il manque à son solide Nabucco, peu nuancé et un peu gris de timbre, ce tranchant et cette variété expressive dans la ligne de chant qui font les barytons verdiens exceptionnels. Lui répond l’Abigaille d’Anna Pirozzi, à qui cette tessiture de dramatique d’agilité ne convient que partiellement. Les vocalises de force et les écarts de registre mettent à rude épreuve un extrême aigu souvent forcé, et c’est plutôt dans le lyrisme de « Anch’io dischiuso » ou sa scène de repentir finale que la soprano donne toute la mesure de ses affinités avec une écriture vocale néobelcantiste. En Ismaele, Galeano Salas trouve un emploi moins exposé qu’Alfredo dans La traviata (également au programme cet été) et à sa juste mesure.
La mezzo Francesca Di Sauro donne un beau relief à Fenena et Gabriele Sagona se distingue en Grand Prêtre de Baal. Enfin, Roberto Tagliavini compose un Zaccaria de grande classe dont la ligne de chant sans accroc et la longueur de voix avec un extrême grave jamais artificiel convainquent pleinement. Le chœur de l’Arena paraît un peu mou dans le célèbre « Va pensiero » et laisse entendre quelques décalages au fil de la soirée, dus en partie à la confusion induite par une mise en scène envahissante.
Dans la fosse, Pinchas Steinberg dirige une exécution inégale, sans grand relief, où manque l’énergie que réclame la musique du jeune Verdi pour exister pleinement. Au final, si l’on admire la prouesse technique, la précision des chorégraphies et des tableaux d’ensemble réglés au cordeau – à quoi s’ajoutent quelques moments de grâce chez les solistes –, on ressort avec l’impression d’un spectacle qui ne fait qu’effleurer la force du message si simple et si direct du livret de Solera et lassé par un trop-plein visuel qui ne laisse que trop peu respirer l’œuvre elle-même.
ALFRED CARON