Teatro alla Scala, 13 juin
Après une somptueuse Walküre en février dernier (voir O. M. n° 211 p. 55 d’avril 2025), le Siegfried milanais de David McVicar s’inscrit dans une appréciable continuité. Atmosphère toujours nocturne, dans des décors d’une tonalité générale sombre, aux reflets métalliques entretenus par des éclairages raffinés, renforcés par quelques rares effets vidéo. Toujours une atmosphère d’heroic fantasy, en particulier pour la forêt du II, nettement morbide : squelettes géants dont les ossements restent prisonniers d’une végétation lignifiée. Et toujours cette cohorte de gymnastes musclés, chargés d’incarner ou d’actionner à vue tout ce qui relève de l’animal ou du fantastique : ours, oiseaux suspendus, dragon – ici un squelette animé à l’énorme mâchoire – et ce beau Grane, cheval incarné par un athlète juché sur orthèses métalliques, endormi près de Brünnhilde.
Pour ceux qui ont pu voir le précédent Ring de David McVicar, à l’Opéra National du Rhin (voir O. M. n° 61 p. 42 d’avril 2011 pour le compte rendu de Götterdämmerung), rien n’a fondamentalement changé, si ce n’est qu’à Milan les dimensions du plateau et le budget sont plus conséquents et que certains personnages paraissent davantage caractérisés. Notamment dans ce nouveau Siegfried l’apparition, au II, d’un Alberich clochardisé, traînant les vestiges de sa puissance sur un chariot. Mime gagne aussi en relief, désormais ouvertement queer, ce qui revient à prendre au pied de la lettre sa réponse à Siegfried : « Ich bin dir Vater und Mutter zugleich » (Je suis à la fois ton père et ta mère). On apprécie l’art de McVicar à mettre continuellement le texte en valeur : chaque réplique trouve une traduction visuelle pertinente, au besoin violente. Revers, quelques chutes de tension, quand la direction d’acteurs ne paraît pas mieux que fonctionnelle, surtout au III où l’imagination scénographique peine à prendre le relais : le beau rocher de Brünnhilde – main géante et tête d’Erda éclatée – demeure esthétiquement trop statique pour renouveler l’intérêt.
Distribution homogène d’une étape du cycle à la suivante, hormis la défection de l’Erda de Christa Mayer, remplacée au pied levé par une impressionnante Anna Kissjudit, registres disjoints mais vrai grave d’alto. Et avec, luxe suprême, un Klaus Florian Vogt plus radieux encore qu’il y a quatre mois, quand Siegmund lui imposait d’assombrir son timbre. Ici, l’incarnation d’un gamin candide et turbulent ne requiert aucun artifice : un Siegfried percutant, que même la forge ne fatigue pas et qui investit chaque réplique avec la clarté d’un Lied de Schubert. Une fraîcheur dont McVicar joue avec une touchante sensibilité au II, en construisant vraiment un personnage d’adolescent confronté à l’apprentissage de la vie, et non un pathétique benêt. Y compris quand il s’agira, au III, de trouver les bons gestes pour éveiller Camilla Nylund, Brünnhilde au timbre solaire, dont les lignes fusent avec un confondant naturel. Cet ultime duo plane très haut, les deux restant au besoin éloignés pour préserver la lisibilité de leur chant simultané lors de la dernière ligne droite. Car là où d’autres braillent avant de s’étreindre, eux continuent à vraiment chanter !
Somptueuse qualité de chant et d’élocution aussi chez Michael Volle, un rien moins en forme que dans Die Walküre, Mime de référence de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, aussi impeccable diseur que chanteur, et Alberich à nouveau relativement clair d’Ólafur Sigurdarson, vocalement irréprochable mais davantage pathétique que maléfique. Seul l’Oiseau de la forêt trop corsé de Francesca Aspromonte paraît hors de propos.
Quant à Simone Young, elle continue le travail accompli conjointement avec son ancien assistant Soddy, à la tête d’un Orchestre de la Scala d’une remarquable tenue instrumentale. Un peu moins d’emportements que dans Walküre, quelques passages davantage pragmatiquement gérés que véritablement inspirés, mais dans l’ensemble une belle lecture, qui seconde bien le chant.
Prochaine étape : cinq représentations de Götterdämmerung en février 2026, suivies de deux cycles complets en mars, le premier dirigé par Soddy, le second par Young. Pour tout wagnérien en quête d’un Ring littéral mais sans ridicule, à un niveau vocal hors du commun, le déplacement s’impose d’ores et déjà.
LAURENT BARTHEL