Opéra, 17 mai
Peter Grimes, premier opéra de Benjamin Britten, créé à Londres en 1945, revient à -l’Opéra de Lyon dans la mise en scène sobre et incisive de Christof Loy, conçue en 2015 pour le Theater an der Wien, reprise et critiquée par Mehdi Mahdavi en 2021 (voir O. M. n° 178, p. 76 de décembre-janvier 2021-2022), après celle de Yoshi Oïda, présentée en 2014.
Inspiré d’un poème de George Crabbe, le livret retrace le destin funeste d’un pêcheur marginal, suspecté de brutalités envers ses jeunes apprentis. La mort accidentelle de deux d’entre eux attise les rancœurs, précipitant l’hostilité d’un village tout entier – ou presque – jusqu’à l’inéluctable suicide du protagoniste.
Privée de toute évocation réaliste d’un littoral, la scénographie de Johannes Leiacker resserre l’action dans un huis clos implacable. Les parois sombres, la pente abrupte du plateau – où affleurent, en contrebas, quelques pâles esquisses aquatiques – circonscrivent frustrations et tensions latentes. Un simple lit, tour à tour refuge, théâtre de l’intime ou seuil entre deux mondes, devient un pivot scénique récurrent. Quasi absente à vue d’œil, la mer s’exprime dans toute sa versatilité par la seule musique : la fosse devient de fait le lieu d’où jaillit le ressac, le vent et le tumulte des flots. Les éclairages subtils de Bernd Purkrabek et les costumes contrastés de Judith Weihrauch favorisent des tableaux mouvants, d’une grande expressivité.
Dans le rôle-titre, le ténor américain d’origine sri-lankaise Sean Panikkar incarne un Peter Grimes à la fois robuste, hanté et bouleversant d’humanité. Sa voix, puissante et malléable, d’un timbre lumineux, se distingue par un art raffiné de la nuance, jusque dans les instants les plus extrêmes ou suspendus. Dès le duo a cappella avec Ellen au premier acte, il capte l’émotion ; il bouleverse dans « Now the great Bear and Pleiades » et subjugue dans sa détresse à l’acte II. À ses côtés, Sinéad Campbell-Wallace prête à Ellen Orford une dignité empreinte de fragilité : institutrice droite mais compatissante, elle déploie une voix sensible, qui trouve son plein accomplissement dans l’air du troisième acte, « Embroidery in childhood ». Déjà présent en 2014 à Lyon dans la production Oïda, Andrew Foster Williams reprend avec sobriété et intensité le rôle de Balstrode. Christof Loy accentue ici le sous-texte homoérotique (déjà suggéré dans l’œuvre), perceptible dans les relations entre Grimes, Balstrode et l’apprenti John – incarné, dans un mutisme évocateur, par le danseur Yannick Bosc –, ajoutant une strate supplémentaire à l’isolement du héros. Les seconds rôles, finement caractérisés, contribuent à la richesse des interventions : Carol Garcia campe une Auntie gouailleuse, Katarina Dalayman une Mrs Sedley d’un humour grinçant. Eva Langeland Gjerde et Giulia Scopelliti, en Nièces aguicheuses, brillent dans le quatuor féminin de l’acte II. Chez les hommes, Lukas Jakobski (Hobson) impressionne par l’assise de sa basse et la netteté de son phrasé, tandis que Filipp Varik (Bob Boles) pousse avec justesse jusqu’à la caricature les élans puritains de son personnage. Thomas Faulkner (Swallow) et Alexander de Jong (Ned Keene) complètent avec finesse une galerie de personnages variés.
À la tête de l’Orchestre et du Chœur de l’Opéra de Lyon – admirablement préparés par Benedict Kearns –, Wayne Marshall livre une direction d’une rare maîtrise. Il exalte la richesse de l’écriture protéiforme de Britten sans jamais verser dans le démonstratif. Une production superbement défendue, toujours aussi remarquable de cohérence.
CYRIL MAZIN